B.S. Johnson par Jonathan Coe
Ecrivain essentiel de l’avant-garde britannique des années 60, Bryan Stanley Johnson, qui se suicida à 40 ans, est l’auteur d’une œuvre atypique qui déroute par sa force innovante et la plasticité de son écriture. Une œuvre hantée par la quête obsessionnelle de la vérité et l’impossible réconciliation de la littérature et de la vie.
Cinq mots pour en finir avec la vie, cinq mots écrits sur une carte accrochée à une bouteille de cognac abandonnée sur le bord de la baignoire où l’on retrouva son corps, le 13 novembre 1973. Cinq mots qui en vérité n’en forment qu’un : « Ceci est mon dernier // mot ». Une manière oblique de signer une mort annoncée, de nous suggérer qu’il s’est tué à nous le dire, lui qui n’écrivait que pour exorciser « la douleur de certaines expériences ». De nous dire qu’il a donc échoué, malgré sa foi extravagante en la littérature, en une écriture-vérité capable d’assumer la rébellion du singulier, d’offrir voix et revanche à l’étouffé et à l’écrasé. Car ce qui a toujours motivé Brian Stanley Johnson, c’est l’au-delà des positions établies, l’engagement en faveur d’une forme de lucidité romanesque faisant fi des orthodoxies, se moquant du non-dit des consensus collectifs et œuvrant à restaurer les droits de l’intime. Il se revendiquait comme étant de ceux qui écrivent « comme si cela avait de l’importance, comme s’ils y tenaient, comme s’ils tenaient à ce que ça ait de l’importance ».
Un oublié de la littérature, un écrivain qu’on a dit expérimental et rigide, intransigeant et marginalisé, à l’œuvre peu diffusée, qui n’avait jamais été traduit en français avant que Pascal Arnaud, le fondateur des éditions Quidam, ne commence, en 2003, à réparer cette injustice (c’est à présent cinq des sept romans qu’écrivit Johnson en l’espace de sa courte carrière d’écrivain, entre 1960 et 1973, qui sont disponibles), et que Jonathan Coe ne nous fasse découvrir, au fil de sa très prenante biographie, les dessous d’une œuvre et d’un homme assez fascinants.
Né à Hammersmith, dans l’ouest de Londres, le 5 février 1933, d’un père responsable de la gestion des stocks d’une librairie dédiée à la promotion de la connaissance chrétienne, et d’une mère d’abord domestique puis serveuse, Bryan Stanley Johnson connut une enfance essentiellement marquée par le traumatisme de son évacuation de Londres pendant la Seconde Guerre mondiale et son échec à l’examen d’entrée en sixième. Il apprit donc la sténographie et la comptabilité avant d’occuper des emplois d’aide-comptable jusqu’à ce qu’il s’astreigne à se remettre à niveau, en suivant des cours du soir, et réussisse son examen d’entrée à l’université. À 19 ans, n’ayant encore rien écrit - « J’étais paresseux, effronté, distrait par le sexe, le foot et les motos » - il savait déjà qu’il serait écrivain. Licence d’anglais en poche, il vécut durant cinq ans en effectuant des remplacements dans différentes écoles avant de publier son premier roman, Travelling People, en 1963, une...