Fario N°7
Lire, tout en ayant l’impression de marcher, d’arpenter des paysages singuliers, connus, inconnus. Lire, marcher engendrent-ils modestie, sobriété, résistance ? Peut-on écrire que Fario revue-livre semestrielle sur papier vergé susurre à l’oreille de ses lecteurs ? Etre passager, De quelques bêtes, Marcher, Du silence, Saluer Julien Gracq furent ses précédentes thématiques.
Et La vie qui s’éloigne, titre de ce septième opus, quelle est-elle ? La « vraie vie » chérie par Rimbaud ? Pas seulement. Toutes les vies, passées, présentes et peut-être à venir. Et les voix qui les portent, les évoquent en imposent. Plus d’une douzaine. Hautes, vives, dignes, jamais tonitruantes et pourtant presque inaltérables dans leur volonté de conjurer la mort. Gilles Ortlieb présente un carnet de voyage au cœur d’un poignant banal à Morhange. Philippe Rahmy « s’aventure sur le terrain de la survie » pour affirmer que seule la vie sauve. De quelles vies peuvent parler les poètes du ghetto de Czernovitz ? Et qui est ce Jean Rounault qui prétend : « En janvier 1945, soixante mille citoyens roumains des deux sexes furent « requis pour le travail » en Union Soviétique. A la suite d’un malentendu, je fus du nombre. J’aurais tort de me plaindre. Grâce à une erreur de la NKVD, j’ai pu participer à la vie quotidienne des citoyens soviétiques. » Antoine Emaz, lui, stigmatise la fatigue post-moderne, justifie la poésie, comme une résistance qui s’adresse à la part insoumise du lecteur. Marie Cosnay, avec ses Variations autour de la frontière, déconcerte et enchante. Évoquant la non circulation des êtres, elle ose un parallèle entre sans-papiers et hommes de papier, les écrivains Scott Fitzgerald et Malcolm Lowry. « Avec les hommes qui vont et fuient passent les livres, chaque livre marche sa marche de livre, portant, comme l’escargot sur son dos, dans ses pages, le savoir puis quelques images. Les hommes tombaient à l’eau ou dans le feu. Les livres ne voulaient pas voir ça une fois de plus. Ils tournaient le dos, ils passaient. On finira bien par les lire. »
À la question « Qu’est-ce qu’une revue littéraire aujourd’hui ? » le sobre et flamboyant édito affirme : « Bien peu, il semble, dans le vacarme où surgit cet accord. » Alors, faut-il s’extraire du monde où « La cupidité et la soumission font figure de canon, d’idéal », vivre en anachorète, pour présenter des textes, œuvrer en littérature ? Son auteur, Vincent Pélissier, exhorte tout simplement à résister par les mots. « A contre-courant, nous en appelons aux privilèges du livre, aux impressions que dépose dans la solitude une page de papier, à la magie durable d’un petit bloc imprimé et assemblé dignement, à cette « pureté d’ébat » que disait Mallarmé, à l’empreinte irréversible de quelques mots choisis, à la respiration parfois d’une seule phrase, au feu d’un seul poème. »
Fario N°7, 421 pages, 25 € (26, rue Daubigny 75017 Paris)