Les dévoilements cachés d'Emmanuelle Pagano
Aubenas ressemble à une parenthèse. Son enfilade de terrasses ralentit tout à la fois le temps et les voitures. L’air ardéchois est tranquille et du temps, tout le monde semble en disposer. La jeunesse qu’on croise ici est plutôt altermondialiste que banlieusarde. On s’était imaginé de grands espaces, un plateau désertique, un lac sombre, un morceau de Vercors transplanté sur le plateau ardéchois : le paysage des Adolescents troglodytes qui fit mieux connaître Emmanuelle Pagano, il y a deux ans. Et qui lui valut tout à la fois des prix littéraires (Paul Valéry, Marguerite Yourcenar) et la reconnaissance des professionnels du livre.
Les Adolescents troglodytes nous glissait, via le cocon d’une navette scolaire, dans l’aube fraîche de la montagne, près des visages ensommeillés des collégiens que la chauffeuse du bus devait conduire à l’école avant de refaire le même trajet avec leurs plus jeunes frères et sœurs. Le trajet de la fourgonnette cousait ensemble la vie des enfants, les mythologies rurales, la froidure du climat, le passé d’Adèle et son présent. Adèle qui avait vécu dans la région sous un autre nom, avec un autre sexe, et était allée au bout de sa vraie nature. On y voyait aussi son frère, Axel, accrocher aux flancs menaçants de la montagne des filets anti-sous-marins pour retenir la roche. Le roman croisait les histoires, traçait la radiographie sentimentale d’Adèle en même temps que la cartographie lumineuse d’un pays.
Pour voir ce plateau ardéchois qui a inspiré le livre, on se rendra « dans la marge » du site d’Emmanuelle Pagano (http://lescorpsempeches.net) où de magnifiques photos rythment le passage des saisons là-haut. Car Emmanuelle Pagano vient d’emménager dans la plaine, dans cette ville d’Aubenas où elle ne compte pas rester : « J’ai besoin de vivre dans un lieu isolé, la ville, ce n’est pour moi. » Des changements dans sa vie sentimentale et une mutation lui ont fait quitter les abords du lac d’Issarlès où son mari et elle avaient acheté leur maison. Elle habite depuis peu un appartement rénové dans une rue étroite, derrière un portail de bois à la serrure récalcitrante.
Les premières maisons que la future romancière a connues étaient toutes des gendarmeries : née en septembre 1969 à Rodez, l’enfant, sa sœur (qui naîtra deux ans plus tard) et sa mère suivaient en effet leur gendarme de père et mari dans ses affectations. On en trouvera la trace dans Le Tiroir à cheveux puisque l’héroïne, jeune maman de deux enfants, est aussi fille de gendarme et croise d’ailleurs, dans l’habitation commune, une voisine qui est le portrait craché de l’auteur elle-même.
La mère d’Emmanuelle Pagano, elle, est institutrice. « Elle était la dernière enfant dans sa famille et c’était donc à elle de faire des études. » Les grands-parents maternels sont des paysans aveyronnais : producteurs de fromages, ils élevaient plusieurs milliers de brebis. Fidèles à une certaine tradition paysanne, ils étaient donc riches sans...