Les joyeuses méchancetés que l’on n’ose pas - ou que l’on a pas le courage de penser de son chef et ses affidés, tout à l’importance de leur fonction, les rivalités larvées, la misogynie triomphante, l’effacement des déjà effacés d’être bas postés et pourtant si fidèles, les Rastignac en « cravate dont la couleur et le design rappellent des eaux de rejet industriels », tricheurs et resquilleurs en entreprise - tous croqués sur le vif, saisis à la pointe du verbe tranchant comme le couperet des désillusions qui tailladent l’ego, les amitiés et les ambitions. De 1992 à 2004, Martin Suter a exercé sa plume, plutôt connue pour ses romans à suspens et voyages intérieurs, à de petits billets satiriques du monde des affaires. Business class, recueil de ces portraits de cadres surmenés, oscillant entre la « pratique de l’introspection » - forcément, mal placée - et le refoulement des inimitiés inavouables (« Pourquoi Weibel déteste Amacher »), soucieux du paraître et assoiffés d’être, mais à leur corps défendant, est un divertissement offert initialement en pâture aux lecteurs d’hebdomadaires (ultra) libéraux zurichois. Quatorze historiettes, d’où jaillit la capacité de l’homme à se mentir à lui-même, sont autant d’occasions de rire du jeu des apparences et des déconvenues qu’il génère, et pour Suter, de capter ses décalages cocasses, avec élégance. Ou comment tailler des costards et offrir un voyage en classe tout risque à ses collègues de bureau, mine de rien.
Business class de Martin Suter
Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Christian Bourgois, « Titres », 61 pages, 7 €
Poches Affaire de classe
juillet 2008 | Le Matricule des Anges n°95
Un livre
Affaire de classe
Le Matricule des Anges n°95
, juillet 2008.