Contemporain de Lovecraft, David H. Keller (1880-1966) connut aux États-Unis un succès immédiat durant les années 1920, pris dans la spirale de ce qui allait devenir l’âge d’or de la science-fiction. C’était le temps des revues à bon marché et populaires, comme Weird Tales ou Amazing Stories, où Keller fit ses premières armes. Genre par excellence de l’époque, la nouvelle était pour quiconque souhaitait faire de la S.F ce qu’un kantien appellerait l’impératif catégorique. Pourtant, s’il est bien auteur par vocation, Keller fait des études de médecine par nécessité. Prenant la psychiatrie pour spécialité, l’homme est vite reconnu par ses pairs L’écriture le tiraille malgré tout, et avec elle sa passion pour les contes fantastiques. Essentiellement célébré en France pour son roman d’anticipation La Guerre du lierre, il témoigne cependant peu d’attirance pour la mode très controversée du space opera. Aussi décide-t-il de se servir de ses compétences en psychiatrie pour évoquer l’incident, à travers des nouvelles au ton volontairement pessimiste. C’est que, comme l’écrira à son propos Régis Messac dans son essai Les Primaires : « Toutes les fois qu’il lui arrive de décrire un infirme, un fou, un dégénéré, on entrevoit derrière l’aisance et la vraisemblance du récit la solide documentation du psychiatre et du clinicien. » En effet, Keller a passé toute sa vie dans un hôpital expérience dont on trouve un écho dans « La Morte », qui figure dans le présent recueil.
Récit d’une psychose paranoïaque, la nouvelle raconte l’histoire d’un certain monsieur Thompson, sommé de s’expliquer sur la mort très suspecte de sa femme. Obsédé par l’idée que sa femme était en train de pourrir, le mari n’a eu de cesse d’appeler médecins de nuit et proches pour venir constater le mauvais état de santé de son épouse agonisante. Pourtant, que faire quand la susdite malade se porte en fait à merveille devant l’entourage, tandis que monsieur Thompson voit bien des mouches rôder autour de son cadavre en sursis ? Toute la nouvelle joue sur la distorsion des perceptions des uns et des autres, comme s’il y avait en réalité deux continuum totalement différents ; deux espaces d’appréhension du monde qui s’opposent et plongent la vérité au fond d’un puits à l’eau saumâtre. Car Keller aime à jouer sur ces apparences qui se révèlent souvent trompeuses aux yeux du lecteur. C’est également le cas dans la nouvelle d’inspiration gothique « Le Chat-tigre », véritable bijou de noirceur, qui reprend les ficelles du genre en racontant l’histoire d’une maison dont la cave dissimule les corps quasiment inanimés de ses anciens occupants. Officieusement disparus, les ex-propriétaires sont en fait au sous-sol, derrière une porte soigneusement fermée. Qu’y a-t-il derrière ? C’est la question qui obsède le narrateur, frappé par le mystère qui entoure les lieux. Et à chaque fois, cette même innocence apparente qui semble d’autant plus garantir le crime que les murs sont blanchis à la chaux. Comme s’il fallait passer sous silence un pan de l’histoire de cette masure italienne au passé nébuleux. « Quels secrets recouvraient cette blancheur ? » Et là encore, Keller se plaît à jouer sur les poncifs de genre pour révéler que les victimes ne sont pas ce dont elles ont l’air. Dans la nouvelle éponyme « La Chose dans la cave », les codes du conte pour enfants sont également retournés. C’est que la violence de la chute finale entre en collision avec la vitesse de croisière du conte : on dit que les monstres n’existent pas après tout. L’enfant n’a rien à craindre, du moins c’est ce qu’on verra. Que dire, enfin, de « La Bride magique », histoire située aux frontières de l’ésotérisme qui raconte une histoire d’amour sur fond de métamorphoses et de légendes de sorcières ? À chaque récit, Keller déploie de nouvelles couleurs, explore des facettes inexplorées du fantastique. Plus sombre que les contes du Horla, plus moderne que Maupassant, La Chose dans la cave a tout ce qu’il faut pour plaire aux amateurs du genre comme aux néophytes.
La Chose
dans la cave
David H. Keller
Traduit
de l’américain
par Jacques Papy
et France-Marie Watkins
Préface
de Jean-Pierre Ohl L’Arbre vengeur 107 pages, 11 €
Histoire littéraire Ce diable de Dr Keller
juin 2007 | Le Matricule des Anges n°84
| par
Benoît Legemble
L’Arbre vengeur sort de la cave un recueil fantastique qui mêle la peur et les dérives psychiques aux mythes de la métamorphose.
Un auteur
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Ce diable de Dr Keller
Par
Benoît Legemble
Le Matricule des Anges n°84
, juin 2007.