Faire son deuil « devient une sorte de mot d’ordre, une injonction commune, quel que soit le domaine abordé : ainsi, après avoir fait le deuil de la révolution, nous faudrait-il faire celui du socialisme… Dominique Carlat redonne ici au » travail « du deuil tout son poids de souffrance, de regret et remords, mais aussi de lutte vitale, de reconstruction et de création. Ce sont en effet, ces » témoins de l’inactuel « , » quatre écrivains contemporains face au deuil « . Claude Esteban et Michel Deguy, Pierre Pachet et Roland Barthes affrontent, les uns par la forme poétique, les autres par celle de l’essai, la question de ce que peut la littérature, » tous conduits à éprouver le mélange d’indignité et de nécessité qui pousse à écrire « , malgré tout, face à la mort. Esteban, perdant celle qui fut une compagne de vie et de travail, fait l’expérience de » l’inversion des signes « : aucun mot n’a de poids face à la » matière corrompue « du cadavre ou à la réification qu’opère le discours médical. Un » réapprentissage de la parole « est nécessaire même au risque de la folie. Deguy, dans la solitude de celui qui survit à l’épouse, affronte la figure de Narcisse et invente, en un » thrène « , un » lyrisme du désespoir « . Pachet, rencontrant la faille, le vide, veut pourtant poursuivre avec l’aimée disparue le dialogue, comme si » le geste d’adieu « lui était » littéralement interdit « . Barthes, dans les quelques mois qui suivent la perte de sa mère et qui précèdent sa propre mort (un camion le renversera sur le chemin du Collège de France certains parleront de suicide involontaire…) veut croire en une » vita nova « : comme Proust, il pourrait enfin (endeuillé mais libéré) tenter l’écriture romanesque, longtemps désirée. Mais ce sera La Chambre claire : méditation sur les pouvoirs de la photographie et » tombeau " pour cette mère, ici enclose.
Témoins de l’inactuel de Dominique Carlat
José Corti, 161 pages, 18 €
Essais L’or des morts
juin 2007 | Le Matricule des Anges n°84
Un livre
L’or des morts
Le Matricule des Anges n°84
, juin 2007.