Tous les enfants sauf un dont le titre reprend une phrase du début de Peter Pan : « Tous les enfants, sauf un, grandissent » est un livre étrange. Objet hybride, entre roman et essai, il semble un appendice à L’Enfant éternel et Toute la nuit. Dix ans après la mort de sa fille, l’écrivain revient sur le récit qu’il fit donc de cette perte. « Il me semble qu’il aurait fallu tout présenter sans artifice » écrit-il dans son avant-propos avant de nous donner, une fois encore, le récit de la maladie de Pauline, ses soins, sa mort. Il ne faut pas trente pages à Philippe Forest pour redire cela, trente pages nues qui émeuvent encore. Cette première partie (le livre en compte treize) est intitulée : « ce qui reste du roman ». Or, si on a lu Le Roman, le réel qui paraît simultanément, on devine l’importance de l’intitulé. « Ce qui reste », c’est aussi bien le déchet (les restes) que ce qu’on ne peut réduire, le noyau incompressible. Ce qui reste alors du roman, c’est, une fois enlevés les artifices et la fiction, le réel qui lui a donné sa nécessité. Ce réel-là qu’il n’était pas possible de dire, dix ans plus tôt, si ce n’est en passant par l’artifice de la fiction (le père et la mère de l’enfant étant affublés de prénoms d’emprunt, Alice et Félix pour Hélène et Philippe), la prose mobilisant ses descriptions de neige pour dire la mort en route et porter un récit vers sa destination dernière. Ici, le drame est donné nu afin qu’une parole soit mieux entendue : celle qui dit le sort fait aux malades, d’abord, aux morts ensuite. Philippe Forest en appelle à Georges Bataille et à son expérience pour dénoncer la déshumanisation à l’œuvre, non pas à l’hôpital, mais dans tout le corps social. « Le malade, le mourant, ses proches se trouvent sommés de collaborer au processus d’effacement, d’oblitération dont la société leur affirme la nécessité. » S’il écrit en témoin, c’est parfois un procureur qu’on entend. Son doigt accusateur pointe les mythologies, des plus triviales (comme celle qui consiste à dire aux parents de l’enfant
Mais l’écrivain ne lance pas d’anathèmes : il interroge, questionne, s’appuie sur les livres lus, les grands auteurs, les philosophes. La religion aussi est convoquée, en des pages qui avouent leur perplexité : comment un père et une mère, athées, en viennent-ils à faire appel à un prêtre pour donner à l’enfant mourant le baptême et l’extrême-onction. Tous les enfants sauf un quitte alors le prétoire pour pénétrer plus profondément dans l’interrogation que la mort de Pauline ne cesse de poser. Au final, évoquant les chemins qui ont conduit le père de Pauline à devenir le romancier de L’Enfant éternel, Philippe Forest retourne vers la littérature. Puisque ce qui reste du roman, c’est bien évidemment, un réel qui appelle à lui, infiniment, la littérature, seule capable, sinon de le dire, du moins d’en désigner la place.
Tous les enfants sauf un, Gallimard, 174 pages, 11,90
Dossier
Philippe Forest
Pour ceux qui restent
mars 2007 | Le Matricule des Anges n°81
| par
Thierry Guichard
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