C’est un quartier de Paris qui ressemble à une zone périurbaine. La Bibliothèque de France en constitue un horizon immédiat, des entreprises du bâtiment travaillent au marteau-piqueur les caries que se disputent les spéculateurs et quelques maisons résistent, à l’angle des rues, offrant des façades moins lisses que celles de leurs voisins les grands immeubles. Philippe Forest s’est trouvé là un appartement dans une de ces bâtisses qu’on imagine habitées, il y a un siècle, par des ouvriers du chemin de fer, ou quelque chose d’avoisinant. On grimpe chez lui par un escalier essoufflé et modeste. L’homme nous y accueille avant un déplacement pour une conférence à Londres et après un séjour à Nantes où il enseigne à l’Université la littérature française. Son bureau héberge une partie de sa bibliothèque partagée entre Paris et la maison qu’a achetée sa femme, Hélène ainsi qu’elle est nommée dans Tous les enfants sauf un à Saint-Brévin sur la côte atlantique. L’homme parle doucement, bien qu’il se dise volontiers asocial et qu’il laisse paraître dans ses écrits de saines colères à l’encontre des livres industriels, des marchands de bonheur à peu de frais et de toutes les entreprises de déréalisation du monde auxquelles nous sommes livrés. Faste programme.
Deux essais paraissent aujourd’hui. En septembre, un roman sortira chez Gallimard et ce sera son quatrième. L’homme s’est d’abord fait connaître dans le milieu littéraire par des écrits théoriques qu’il qualifie plus volontiers de « livres de journalisme culturel » : un Philippe Sollers paru au Seuil suivi d’une Histoire de Tel Quel (la revue que dirigea ledit Sollers des années 60 aux années 80). C’est ensuite avec son premier roman L’Enfant éternel qu’il s’est ouvert un plus large lectorat (8000 exemplaires dans la collection « L’Infini » chez Gallimard et 11000 en Folio). Il y raconte la maladie de sa fille, Pauline, atteinte d’un cancer à trois ans et qui succombera un an plus tard. Livre douloureux, tendu par une exigence d’écriture qui vide le roman de tout narcisisme, porté aussi par une réflexion sur la littérature sise en son sein même. Ce sera la facture de Philippe Forest : Toute la nuit qui suivra reprend le geste de dire l’indicible, revient à nouveau sur la mort de Pauline, pousse l’intransigeance lucide jusqu’à dire l’impossible deuil d’autant plus impossible qu’il est refusé, le désir de suicide et l’écriture qui donnera, en deux mois fiévreux L’Enfant éternel. Cela suffit à classer l’auteur du côté des autobiographes ou des autofictionnels, étiquette jetée hâtivement sur le corps des romans comme un linceul posé sur un peu trop de vivant. Car le travail de Philippe Forest, dans ses récits, ne vise pas à autre chose qu’à maintenir vivace une expérience cruelle. Là où d’autres auraient brodé des linceuls lumineux inondés de l’encens de leur style, Forest s’accroche à une éthique du dire pour ne rien dévoyer de sa vérité, qui, du coup, devient aussi la nôtre. Du deuil à...
Dossier
Philippe Forest
Penser contre la nuit
Théoricien de la littérature, lecteur des avant-gardes, c’est à la suite de la mort de son enfant que Philippe Forest est devenu romancier. Pour tâcher de dire l’impossible, et vivre à contre-courant de l’oubli et de la résignation.L’écrivain fait paraître deux nouveaux essais.