Dans la tradition pétrarquiste, l’innamoramento désigne l’instant où la flèche d’amour frappe les amoureux, faisant naître ce « bonheur mêlé d’inquiétude parce qu’on ignore si ce sentiment est partagé » chanté par Alberoni. Jankélévitch parle quant à lui du « premier baiser, la rencontre primultime » mouvement du « doute éternel » qui laisse entrevoir la fin de l’idylle. C’est ce parcours menant de la lumière à l’ombre qu’aborde l’opus de Camille Laurens : roman de la mise au tombeau des amants, il montre la face cachée de l’iceberg, évoquant cette folie qui pousse à « vouloir asseoir côte à côte dans le même cabriolet un homme qui craint de perdre le contrôle et une femme qui craint de perdre l’amour ». Ni toi ni moi est aussi le fruit d’une rencontre : suite à la lecture radiophonique d’un récit intitulé « L’homme de ma mort », la narratrice alter ego de l’auteur est contactée par un cinéaste qui projette d’adapter la nouvelle. De leurs efforts répétés pour monter ce film naît l’ovni : habile mélange d’e-mails échangés par les deux artistes et d’ébauche des dialogues du film, il s’apparente à un jeu de poupées russes. Enquête hallucinée sur la versatilité amoureuse, l’œuvre s’impose en outre comme le palimpseste du Adolphe de Constant. Si les noms changent, le fond demeure : « Les sexes sont effroyablement séparés. Et quand par hasard ils s’échappent de la forteresse, ils ne se retrouvent que dans la cour des adieux. »
Il s’agit d’explorer la mosaïque du pourrissement idyllique, de sonder la faillite des corps et le drame de la séparation. À déplorer cependant le côté verbeux du récit. Davantage de brièveté aurait suffi à préserver le lyrisme des premières pages.
Benoît Legemble
Ni toi ni moi de Camille Laurens
P.O.L, 376 pages, 19,90 €
Domaine français Amours primultimes
octobre 2006 | Le Matricule des Anges n°77
| par
Benoît Legemble
Un livre
Amours primultimes
Par
Benoît Legemble
Le Matricule des Anges n°77
, octobre 2006.