Dirigé par François Julien et placé sous l’égide de l’Institut de la pensée contemporaine, cet Agenda n’est pas à proprement parler une revue, mais un « libelle », autrement dit un petit livre, rendant compte, à raison de trois livraisons par an, « des principaux livres de pensée récemment parus, voire à paraître, et pointer aussi vers quelques œuvres négligées ».
La livraison inaugurale (Printemps 2005) consacrait l’essentiel de son sommaire au Vocabulaire européen des philosophies, ainsi qu’à Foucault et à Derrida (on y apprenait notamment que Derrida est désormais persona non grata aux États-Unis, et que les universités américaines « délaissent de plus en plus le secteur des humanités qui non seulement ne rapportent rien, mais sont, en outre, la source de perturbations du marché et de contestations du modèle néolibéral »). Le libelle d’automne s’ouvrait à l’anthropologie, à l’œuvre de Wittgenstein, et à la philosophie italienne. Le volume d’hiver a de quoi réchauffer jusqu’aux pensées les plus exigeantes.
Cette ultime livraison de l’année s’avère plus hétéroclite que les précédentes (tout en restant centrée sur la problématique identitaire celle de la femme savante, de l’empire romain, ou des États-Unis), passant par exemple d’une réflexion sur la manière dont les transports et les infrastructures ont modifié notre conception de l’espace aux lettres d’Héloïse à Abélard… Plus proche de l’actualité, Philippe Raynaud présente deux essais examinant à la loupe le mystère de la société américaine (Le Nouveau Nationalisme américain d’Anatol Lieven et De la guerre et du terrorisme de Michael Walzer). Le premier montre une identité en cours de redéfinition, déchirée entre un désir d’impérialisme et un ethnocentrisme réactif. Le second tente de « jeter les bases d’une compréhension fine et nuancée des conflits contemporains », se demandant notamment « quelles guerres les États-Unis sont en droit de mener », et reconnaissant que ce que discrédite le terrorisme « c’est avant tout le fait qu’il rend problématique la reconstitution d’un monde viable au-delà de la guerre ».
Comme on le voit, l’Agenda embrasse tout le champ des sciences humaines (de la psychologie à la littérature), et qui plus est avec un évident souci d’objectivité : les critiques s’accompagnent volontiers de réserves. Reste que ces libelles n’entendent pas vulgariser la pensée dont ils rendent compte, et que certaines références se montrent parfois exagérément jargonnantes.
À l’instar de la revue Critique, cet Agenda s’adresse à un lectorat avisé. On peut lui reprocher de ne penser que sur la pensée des autres (on ne trouvera ici que des critiques de livres), mais il faut bien reconnaître que vouloir « ouvrir une réflexion internationale et transdisciplinaire » reste une entreprise courageuse.
Agenda de la pensée contemporaine
(Hiver 2005), 120 pages, 10 €, PUF
Revue Penser la pensée
janvier 2006 | Le Matricule des Anges n°69
| par
Didier Garcia
Un livre
Penser la pensée
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°69
, janvier 2006.