À lire le « roman vrai » d’Alexandre Jardin, on a l’impression d’assister à une sorte de numéro de révérences. Le parquet est ciré, le bonhomme bien chaussé, la chemise est à jabots et hop, il nous fait une arabesque de mouvements avec les bras et salue. Puis recommence : trois mouvements du bras, le menton levé et salut. Puis recommence. Puis recommence. Chaque phrase est écrite pour lâcher un éclat (telle une publicité pour un dentifrice). Pourtant, il faut bien le reconnaître : depuis Fanfan ânerie grotesque que l’auteur alla jusqu’à mettre à l’écran, Alexandre Jardin a fait de sérieux progrès. Le contraire, il est vrai, aurait relevé de l’exploit. N’empêche, sa phrase s’est redressée. Certes, on trouve ici ou là des incongruités qui ne sont peut-être que les petits dérapages que des courbettes sur un parquet ciré rendent inévitables. Par exemple, p.61, notre homme s’apprête à faire sortir clandestinement sa grand-mère de Suisse (à chacun ses exploits) et il faudra ensuite « la faire rerentrer ». C’est assez peu joli ce néologisme. Rappelons que si on « entre » pour la première fois dans un endroit, on y « rentre » dès qu’on y retourne, y « rerentrer » voilà qui laisse perplexe. Mais l’homme est cabotin, c’est sa façon à lui d’être irrévérencieux. On aurait préféré qu’il économisât les adjectifs dans ces phrases assommantes qu’il assène, comme si le clinquant pouvait tenir lieu de pensée ou, à défaut, d’élégance. C’est une maladie plus contagieuse que la grippe aviaire, cette façon de parler (ou d’écrire) en voulant à tout prix faire des Phrases littéraires. Il suffit que le petit Jardin s’adresse à quelqu’un, pour que l’autre se mette à parler comme lui. Bref, on nous joue les précieuses ridicules à la mode vieille France. C’est tuant, mais pas mortel : on peut refermer le livre à tout moment tant ce qui s’y joue ne nous concerne pas. Car, mais vous le savez déjà, dans Le Roman des Jardin, Alexandre a décidé de nous dépeindre sa famille et plus particulièrement la vie sexuelle et tumultueuse qu’il prétend qu’elle eût. « Cependant, que l’on se rassure, mon Roman des Jardin ne tiendra pas du strip-tease familial la littérature boueuse n’est pas mon style », nous annonce en un long préambule son auteur qui place toutefois dès la page suivante : « Ce livre aura (…) l’énergie du pamphlet contre les frileux du gland ». C’est comme dans les magazines pour papa : on photographie une belle dénudée et on titre « halte à la pornographie ». Pour nous tenir en haleine, l’auteur utilise le procédé des séries pour enfants : il termine la plupart des chapitres par la promesse d’une révélation : « Voici la vraie histoire des amours des Jardin » promet le premier chapitre, « Et si tout cela partait de ma mère ? Mais non, il est encore trop tôt pour prononcer le nom de cette femme d’exception… » déclare le deuxième, « Que vais-je faire ? » (troisième), et la mère revient dans le suivant « mais son cas reste trop sidérant pour que je l’évoque si tôt dans ce roman… » L’art du bonimenteur ne fait pas un art de romancier hélas, et la chair ici est absente. Car qu’une partie des faits ici soit véridique ou non, les personnages, leur façon de parler, les situations, semblent dessinés par un enfant qui croit encore qu’un carré surmonté d’un triangle suffit à faire une maison.
Bavard et répétitif, le roman couronne l’anecdote comme dans un dîner mondain où l’on caquette pour échapper à son propre vide. Une phrase comme : « l’homme qui m’a le mieux élevé c’est lui qui m’initia à la lecture et au rasage » en témoigne : on ne touchera jamais ici à la profondeur. Dans la famille Jardin, Alexandre s’est trouvé un nouveau père : Jean d’Ormesson.
le roman
des jardin
alexandre jardin
Grasset
330 pages, 18 €
Ce que la presse en a dit…
Le Point : « Je voudrais risquer ici un jugement un peu prof, qu’on formule peu : Alexandre écrit très bien. (…) Quelle verve ! Vous aimez le galop, railliez-vous à son panache, suivez ses rires, caracolez avec ses calembours ! » (François Nourissier)
Lire : « Pudique, drôle et sans concession lorsqu’il s’agit d’aborder les épisodes plus plus noirs, le meilleur livre d’Alexandre Jardin se dévore et se savoure. » (Alexandre Fillon)
Le Figaro : « Sa galerie de personnages, n’était la systématisation du ton humoristique qui, parfois, s’assimile aux Percussions de Strasbourg, émeut et fait rire. » (François Cérésa)
Médiatocs Miroir, joli miroir
novembre 2005 | Le Matricule des Anges n°68
| par
Thierry Guichard
Le Roman des Jardin est une pochade bavarde et complaisante qui aligne ses adjectifs comme une demi-mondaine ses bijoux. Le problème, c’est qu’ils sont en toc.
Un auteur
Un livre
Miroir, joli miroir
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°68
, novembre 2005.