Longtemps la vie d’Adam Volladier ressemblait aux murs gris d’une cellule. Comptable au supermarché Franchon, à Meulan, Adam additionne les chiffres et les journées sans relief. Ses parents « l’avaient élevé dans la méfiance de son prochain », avec pour seuls horizons autorisés, l’accès au potager et à l’église. Adolescent, il vécut bien une folle aventure, la peinture, sans grand lendemain, « peindre n’était pas un métier » décréta la famille. Mais à 34 ans, après la mort de ses géniteurs, sonne l’heure de la résurrection. Sous une forme inédite : il se découvre un don d’ubiquité. C’est un cauchemar, puis une aubaine. Dans la rue, « on le reconnaissait sans le connaître ». Là pour un champion de tennis, ici un cavalier, un acteur célèbre, ou encore un directeur d’hôtel au Sénégal. Du coup, « dans l’intimité de ses draps, il améliorait ses revers, corrigeait la tenue de ses rênes. » Pour le jeune homme, qui sent enfin battre le sang dans ses veines, « chaque rencontre agrandissait son univers », d’autant que, pour vivre avec avidité ces étranges malentendus, il se documente sur la nature des activités qu’on lui prête. Bref, banal, il devenait « universel ». Mieux :« Adam était devenu un être normal et le monde entier le remarquait ». Surtout au supermarché Franchon.
Il faut quelques qualités d’imagination et de fantaisie pour écrire ce premier roman inventif. Claire Wolniewicz n’en manque pas. Elle avait publié, il y a deux ans, un recueil de six nouvelles plutôt intimistes, Sainte Rita, aux éditions Finitude. D’origine polonaise, l’écrivain y brossait, en creux, dans l’une d’elles, le douloureux portrait de sa grand-mère, veuve de mineur, installée dans un préfabriqué de 30 m2, pour qui dans cette « enclave (des corons) on dit partir pour mourir ». Le changement est donc radical. Aux destins ordinaires succèdent ici l’étude d’un destin extraordinaire, celui d’un épanouissement, sujet à métamorphoses et à rebondissements. « J’ai connu une personne qui a été prise pour des autres pendant une courte période. C’est très déroutant, explique d’un ton réservé Claire Wolniewicz. Libre ensuite à chacun d’accepter ou non ces choses-là », ajoute-t-elle en se souvenant du recueil présenté par Paul Auster, Je croyais que mon père était Dieu. Sur une radio américaine, l’écrivain avait demandé à ses auditeurs de lui envoyer des histoires personnelles, souvent bizarres…
Au départ, Ubiquité était conçu comme une nouvelle, autour du phénomène de la reconnaissance. Mais le format court ne convenait pas. « J’avais besoin de faire respirer l’histoire, qu’elle ait de l’ampleur. J’avais plusieurs matériaux de prédilection à ma disposition : la peinture, les thèmes du faussaire, de l’arnaque ». Car l’histoire d’Ubiquité se nourrit d’une intrigue. Lors de sa nouvelle vie, Adam s’éprend de Rita, une jeune galeriste qui le confond avec son amant évaporé, Georges Fondel, escroc amateur d’art, dont le dernier forfait sera de voler L’Origine du monde de Courbet au musée d’Orsay pour le compte d’un riche argentin. Sauf que Fondel ne rend pas le tableau, le commanditaire s’impatiente, ses sbires aussi, et puisqu’Adam est devenu Georges… il lui faut rapidement mettre la main sur le voleur et la toile pour sauver sa peau.
Habile démiurge, métaphore du créateur, Adam ne se contente pas de se glisser dans l’habit de Fondel. On taira le reste, mais on se rappellera les talents picturaux d’Adam adolescent… Ce qui vaut des pages inspirées autour du travail d’Yves Klein, Kandinsky ou de Staël, etc. « Je ne peins pas, même si je possède une boîte de peinture à huile, s’amuse Claire Wolniewicz, qui, après des études de droit et de gestion, fut juriste, spécialisé dans le domaine de la propriété intellectuelle (presse et cinéma), avant de commettre quelques scénarios pour la télévision. Je me nourris des autres. Voir une exposition de Poliakoff me laisse repue. Ce qui m’émeut, c’est les couleurs. Contrairement à la littérature, la peinture est un lieu ouvert. Ça vous saute à la figure. » Il y a effectivement du bleu dans Ubiquité, mais surtout du grège : « C’est le gris, du côté lumière. C’est une promesse. » Il y a aussi de la chaleur, la scène se déroule pendant la canicule. « J’ai été marquée (en 2003) par cette sensation de petite fin, de temps arrêté, inquiétant. Cette chaleur mettait en perspective la vitalité des pensées et des actes d’Adam. » Il y a enfin de nouveau la présence de Rita, sainte Rita, patronne des causes désespérées. « Pour moi, c’est un accompagnement dont je ne m’explique pas les raisons. Dans la galerie des saintes, elle fait tout… On a peut-être besoin de miracle aujourd’hui ». Ce que ne démentirait pas Adam Volladier. « Je suis très enfantine. Je recherche l’émerveillement. Ce qui m’intéresse, c’est que le matériau du réel débouche sur du merveilleux », avoue celle qui aime la littérature jeunesse, les Contes de Grimm, Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez, mais aussi Borges, Duras, Fred Vargas (ce qui l’incitera à déposer son manuscrit chez Viviane Hamy…) Merveilleux donc, comme le passage de la nouvelle au roman. « J’ai appris la patience, à gérer l’inconnu. Il faut accepter d’être le réceptacle de choses dont vous ne savez a priori que faire. Ça demande une attention permanente. »
P. S.
Ubiquité
Claire Wolniewicz
Éditions Viviane Hamy, 142 pages, 15 €
Zoom Peindre une renaissance
septembre 2005 | Le Matricule des Anges n°66
| par
Philippe Savary
Entre intrigue et fantaisie, Claire Wolniewicz, née en 1966, donne avec son premier roman « Ubiquité » des couleurs à une vie absente.
Un livre
Peindre une renaissance
Par
Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°66
, septembre 2005.