Théodore Balmoral N°49-50
C’est orné d’un bandeau bleu où, entre guillemets, s’étale la formule « C’est lamentable » que le numéro 49/50 de la revue fête le vingtième anniversaire de Théodore Balmoral. Fondée par Thierry Bouchard et Pascal Belton, à Orléans où elle se publie toujours (à 500 exemplaires), Théodore Balmoral n’a que peu changé en vingt ans : même format, même exigence de qualité. Le premier numéro, daté de septembre 1985, s’ouvrait par un poème de Pierre Michon : « Me voilà donc une fois encore dans ce Midi/ ce sud où il fait si chaud./ Avec un coup de vent le portrait de Faulkner/ que j’avais mis au-dessus de ma tête s’est cassé la gueule » (…). Suivaient quelques textes courts, dont une moitié environ signée des fondateurs de la revue. Vingt ans plus tard, la livraison est plus copieuse, les auteurs plus nombreux. On y retrouve bon nombre de ceux qui accompagnent fidèlement Thierry Bouchard, le directeur et rédacteur en chef, et dont les noms signent à eux seuls, une esthétique, un style : Pierre Bergounioux, Marcel Cohen, Pascal Commère, Antoine Émaz, Christian Garcin, Jacques Lèbre, Gilles Ortlieb, Jacques Réda, parmi d’autres…
Invité il y a dix ans par la médiathèque de Romorantin-Lanthenay, Thierry Bouchard évoquait l’ambition, pas si mesurée que ça, de faire, d’abord, exister des textes. C’était dire que la glose communicationnelle n’était pas la bienvenue en ces pages riches. Pas plus que l’autocongratulation ou l’événementiel. Aujourd’hui encore, la revue reste fidèle à ses origines. Discrètement évoqué en ouverture de ce double numéro, l’anniversaire (on n’a pas tous les jours 20 ans) ne brise ni les solitudes que la revue rassemble, ni la rigueur éditoriale de son directeur. Il est vrai qu’hélas, pour Théodore Balmoral et pour tant d’autres, les temps sont durs : si le texte inaugural de Thierry Bouchard évoque « un passage aujourd’hui difficile », l’alarme a sonné plus franchement cet été, l’écrivain et directeur appelant par courrier à une mobilisation des lecteurs et sympathisants de la revue pour la sauver.
Aujourd’hui les difficultés rencontrées par Thierry Bouchard, si elles se traduisent en termes économiques, marquent surtout une crise culturelle. Comment se fait-il qu’une revue de cette qualité, publiant des textes majeurs, n’ait pas acquis un socle suffisamment large de lecteurs pour lui permettre, au moins, de durer ? La question mérite d’autant plus d’être posée, que pour son dixième anniversaire, la revue donnait naissance aux éditions du même nom. C’est dire qu’en dix ans, les conditions d’existence des revues de création se sont très nettement dégradées.
Pour autant, acheter ce numéro double de la revue aux raisons de lui venir en aide serait une erreur. C’est pour la qualité des textes qu’on y lit, qu’il faut acquérir Théodore Balmoral. Comme un fait exprès, bon nombre de contributions évoquent le temps : Marcel Cohen se fait le témoin d’une œuvre littéraire étonnante, la rédaction, à la main, d’un numéro entier du New York Times par le poète Raphaël Rubinstein. Rapportée le plus naturellement possible par Marcel Cohen, cette œuvre, Day, qui pèse 836 pages, donne le vertige. Surtout si on a lu, dans l’ordre des pages de la revue, la contribution précédente signée Christian Garcin, où, dans une sorte de rêverie pensée, l’écrivain caresse l’idée d’un temps écrasé, où tous les événements seraient donnés en simultanéité… Au vertige, s’ajoute une gravité soudaine, lorsqu’on lit les poèmes de Jacques Lèbre où la mort s’est invitée. Le temps, ici, ne cesse d’apparaître comme compté. Citons, enfin, « La Fuite d’Égypte » de Pascal Commère : on comprend à lire cette nouvelle, qu’il y ait ici ou là dans le monde, des hommes seuls qui veuillent, contre vents et marées, donner à lire ce genre d’histoire. Ne doit-on pas les en remercier ?
Théodore Balmoral N°49/50 223 pages, 20 € (5, rue Neuve Tudelle 45100 Orléans)