Ce n’est que superficiellement que je suis superficielle " déclarait la Madame De… de Max Ophüls. Cette réplique paradoxale pourrait servir d’épigraphe à cet Adieu à Berlin, adieu doux-amer, tout à la fois tendre et désabusé, d’Isherwood à cette ville qui disparaît en même temps que sa jeunesse, à la fin des années 30, quand il se retourne vers elles. Il ne s’agit pas d’une autobiographie celle-ci viendra plus tard avec Christopher et son monde, éclairant en particulier son homosexualité, implicite ici, ce qui d’ailleurs gêne parfois la lecture mais d’un roman, ou plutôt d’une chronique, dans laquelle le narrateur, Herr Issyvoo, comme l’appelle sa logeuse, admiratrice fervente mais piètre angliciste, offre une vision kaléidoscopique de ceux qui se relaient, en une danse apparemment désordonnée, à ses côtés. Il les décrit avec humour, perspicacité ou fascination. La légèreté semble l’emporter dans de nombreuses pages, avec en premier lieu celles qui mettent en scène l’insupportable et énigmatique Sally (inoubliable Liza Minnelli du Cabaret de Bob Fosse), mais nombre de ces personnages semblent surtout se débattre dans un univers instable et complexe, un monde flottant d’artistes plus ou moins ratés, de prostituées et de gigolos plus ou moins avoués, d’Anglais ou d’Américains fitzgeraldiens qui viennent trouver ici les Sodome et Gomorrhe que leur refusent leurs pays. Mais la liberté se paie au prix fort : la solitude, la névrose ou l’hystérie, la violence et le contexte historique n’est alors plus un simple arrière-plan : la lutte entre les communistes et les nazis, la menace permanente de la guerre civile peuvent être lues comme une allégorie ou une matérialisation des tourments de ces âmes, non pas mortes mais survivantes.
Adieu à Berlin de Christopher Isherwood
Traduit de l’anglais par Ludmila Savitsky
Le Livre de poche, 314 pages, 6,50 €
Poches Acide nostalgie
mars 2005 | Le Matricule des Anges n°61
| par
Thierry Cecille
Un livre
Acide nostalgie
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°61
, mars 2005.