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Nouvelles La scène 3D du crime : interview du décor

janvier 2005 | Le Matricule des Anges n°59 | par Ludovic Bablon

> KIDNAPPING D’UN JUNKIE / ÉPISODE 1

Signal : à l’heure prévue, votre présence est instituée sur la scène du crime et vous commencez l’enquête. Dans l’ombre de la tour, vous approchez.

« Si je suis la paroi de verre fumé d’une tour de douze étages, alors je puis déposer, madame, monsieur, le témoignage suivant, intitulé en lettres de nuages sur fond de ciel : Drame sur la ville Compte-rendu objectif. Cette femme dormait depuis un moment devant moi, telle… un déchirement de chiffon morbide sur le plus lugubre des sols. Vous savez, c’est un long parvis, d’environ 200 000 plaques de verre de long, par 200 000 plaques de verre de large ; un revêtement suspendu en dessous du ciel, lequel passe calmement, sans rien dire, sur les activités bancaires. Ce territoire est sillonné toute la journée par l’errance de certains animaux à col blanc. Partie qui viennent travailler ici, partie qui passent seulement dans les environs, sans du tout être happés ; est-ce qu’ils ont un futur, c’est ce que je ne pourrais vous dire, madame, monsieur, à un moment je ne les vois plus. »
À la recherche d’autres indices vous observez la porte coulissante automatique à deux vantaux composée d’un double rail et d’un système d’entraînement à commande électrique.
« Madame, monsieur, je saurai vous expliquer que cette femme ne m’a franchi qu’une seule fois. Elle fit irruption de l’intérieur, à la poursuite de cet homme qui m’avait franchi également, et après une rixe des plus inhabituelles, il a abattu sur elle quelque chose comme la lame d’un revolver tranchant ; en conséquence de quoi elle a commencé à gésir, morte, tandis que lui s’enfuyait vers les limites externes de sa vie et de notre monde. Voilà une des choses qui se sont passées. Ensuite, je ne me souviens plus…

 Et vous ? », interrogez-vous du regard le revêtement du sol.
« Madame, monsieur, ensuite est venu, de son pas lent et triste, coussinet après coussinet, ce chien bien connu dans notre secteur. Il était de passage, la tête basse, une clope à la gueule, dans sa veste en faux cuir brun à poil ras. Il s’est aperçu dans la vitre…

 Vitre, vous confirmez ?

 Oui, j’ai aperçu ce chien.

 Vous voyez. Il s’y est aperçu, puis de là a regardé ce cadavre, dans un bain de sang. Est-ce la vision du sang ou son odeur, qui a attiré son attention, il faut demander à l’air.

 Alors ?

 Je ne saurais trancher. Mais certes je portais en moi, diffuse, une de ces nébuleuses odeurs de sang rance qui passent inaperçues aux guichets de la perception policière mais qui savent, heureusement, flatter très agréablement les narines des cabots.

 Sol, continuez ; sans vous étendre.

 Oui. Déviant de sa trajectoire ordinaire, ce chien s’est dirigé vers ce cadavre ; un moment, il a tourné autour, en le reniflant ; il a essayé de le lécher au visage, j’ai cru un instant qu’il allait le dévorer sur place, mais non : 1/ sa langue a glissé dans l’encolure de ce cadavre, 2/ ses dents se sont bloquées au col du tailleur de cette employée, et 3/ il l’a traînée sur moi, péniblement, à reculons, de pavé de verre en pavé de verre, sur une centaine de mètres. Quelle horreur. Une longue traînée de sang, mais qui n’a pas tenu vingt pas. »
Vous parcourez la distance qui sépare le lieu de l’interview du lieu qu’elle évoque. La trace de sang s’efface comme le prédisait la théorie mais en conjecturant sa trajectoire vous aboutissez, au coin d’un immeuble, au renfoncement d’une entrée. Au moment où vous l’apercevez, la caméra de surveillance vous adresse la parole.
« Madame, monsieur, bienvenue ici. Dans le cas où vous chercheriez des informations sur le chien qui, tout à l’heure, a fait transiter par ici un cadavre, sachez ceci. Le chien vient souvent ici et, n’ayant pas les pattes assez fines pour composer lui-même le code, reste à attendre que quelqu’un sorte ou entre ; moment dont il profite pour se faufiler dans le hall. Il arrive que certains habitants lui refusent le passage, et il a beau aboyer gentiment qu’il habite là, qu’il est désolé, on est décidé à lui barrer la route avec la jambe tant qu’il s’obstinera. Tout à l’heure, cet animal s’est donc profilé dans mon champ perceptif, traînant à reculons la masse inerte et râpée au talon d’une femme en escarpins. Il a dû attendre plusieurs minutes assis près de sa proie avant qu’une gentille lycéenne qui descendait lui tienne la porte, distraitement, pendant que quelqu’un avait besoin d’un sms quelque part. Je termine ici, mais continuons à nous voir. »
Il est temps d’entrer conscience au poing dans ce hall sombre ; au premier événement de porte, vous glissez à votre tour en direction de l’escalier. Sur le passage, les boîtes à lettres chantent en cœur :
« Quel plaisir nous ressentons, c’est indescriptible. Pour tout dire, nous avons assisté en silence à un étrange manège. Voulez-vous en entendre le récit ? Un petit prospectus pour la route ? Aimez-vous constater que des objets différents de forme, de nature et d’usage manifestent pourtant une certaine forme d’équivalence une fois convertis en chiffres à deux décimales+symbole monétaire, l’ensemble constituant ce qu’on appelle le prix ? Si vous appréciez cet art, il y a cette semaine de beaux gigots à analyser, dans le scintillant sillage des camemberts les plus appétissants. Trêve, il est temps de ne plus en jeter. La porte s’est ouverte et ce chien que vous n’avez pas le bonheur de connaître a fait une apparition traînarde ; on ne peut pas dire qu’il lésinait sur la dépense d’énergie : pour hisser, à la seule force des épaules et des crocs, un poids mort d’une soixantaine de kilos à travers ces escaliers de l’autre côté, sans jamais lâcher prise, il faut un acharnement qui fait plaisir à avoir vu, tout en se remémorant le chuintement des étoffes le long de la poussière. Non, ne pleurez pas ; peut-être aurez-vous vous aussi, plus tard, l’occasion d’assister à des scènes merveilleuses. Trêve, trêve ; je n’en jette plus. »
En vérité, qui est ce lieu et que vous veut-il ? Vous abordez l’escalier d’un air inquisiteur.
« J’avais bien vu, ce soir, quelqu’un, derrière ma rampe. Lui et sa proie m’ont grimpé pendant deux étages ; sa pauvre tête a cogné pendant une trentaine de marches, protégée uniquement par la chevelure ramassée en chignon, autant dire trente fois victimes de heurts sévères ; apparemment il n’en a rien saigné. Est-ce qu’il arrive souvent à ce chien de rapporter, dans son antre, un cadavre ? Il faut savoir rester prudent dans ses désirs, et ne pas surcharger les étagères de l’offre avec la bibliothèque des cahiers de doléances de la demande. Voilà, c’est ici qu’il habite : c’est la seule conclusion à laquelle je sois autorisé à vous conduire : frappez, et amusez-vous bien. »

C’est petit mais on va tous rentrer quand même

Le lieu est un ensemble de caractéristiques représentatives de ces genres de résidences de luxe qu’on louait 30 nouveaux francs sous Pompidou : dans ce couloir carcéral, des clenches de laiton fermement décidées à ne pas pouvoir être actionnées de l’extérieur sont entourées de huit espèces de fausses portes en simili-bois invraisemblablement laqué, l’ensemble recevant autant qu’il est possible le cordial soutien de l’Association des amis du plâtre. Tout naturellement vous frappez ; vous retenez votre souffle ; un genre de déploration de chien sauveteur vous supplie de ne surtout pas mourir sous les décombres avant qu’il vous en tire et vous l’entendez qui griffonne même une prière en gémissant à hauteur de clenche, enfin la porte s’entrouvre dans un jaillissement de lumière glauque. Vous vous retrouvez dans le plus parfait silence face à un chien de grande taille, hypermétrique et médioligne. Bien proportionné, très puissant et musclé. Ossature compacte. Il a une tête volumineuse et un corps recouvert d’un poil demi-long. Rustique, affectueux, calme et noble, il s’agit d’un chien très décidé devant les bêtes nuisibles (dangereuses) et devant les étrangers, spécialement quand il a l’occasion de défendre fermes ou troupeaux. Son aboiement est rauque, grave et profond, très sonore, perceptible à une distance considérable. Il s’agit d’un chien très intelligent, non dépourvu de beauté, dont l’expression manifeste ces deux qualités. Dans son comportement, on voit que c’est un chien sûr de soi, dosant sa force car il connaît sa puissance énorme. Hauteur au garrot : il n’y a pas de limite supérieure de taille, les sujets de la plus grande taille étant les plus estimés quand ils sont de proportions harmonieuses. Il convient que les mâles dépassent 80 cm, et les femelles 75 cm. Désirez-vous acheter ce chien ?
Il a ouvert, mais ne peut pas vous voir. Inquiet de ce qui se passe, il vous traverse à contresens pendant que vous découvrez un appartement de style prolétarien-industriel parsemé d’influences petites-bourgeoises ; aussitôt vous commencez à fouiller les vide-poches et tiroirs à portée de main. Le chien revient la queue au repos, la langue pendante, sans avoir rien trouvé ; vous entendez la voix d’une femme « Chéri, c’est toi ? » Il répond par plusieurs abois courts et cette femme sort de la salle de bains en vêtements de ville et elle s’approche de lui et l’embrasse à pleine bouche, elle passe sa langue sous les babines de son mari tandis qu’à larges coups, il lèche le visage de porcelaine de sa femme en grognant ; cela signifie un « Tu m’as manqué » réciproque. Quand elle fait mine de découvrir pour la première fois le cadavre de cette employée morte à l’apparence si stricte, déposée sur le dos dans l’entrée, entre la porte de la cuisine et le meuble à chaussures, son visage verdâtre illuminé par le plafonnier du salon qui surgit d’entre 100 lanières semées de perles, elle s’exclame « Oh, tu m’as encore rapporté un cadeau ? ça a dû être pénible à ramener non ? », et il répond, couché en travers du canapé en cuir et se reposant, que c’est juste comme ça, qu’il l’a trouvée sur la route en allant aux clopes et au pain, devant la banque ; sur le meuble à chaussures est posé un album de photos que vous venez d’ouvrir, il est rempli de polaroïds de femmes cyanosées et sans os et vous commencez, vous, cette fois, au milieu du dispositif, à battre nerveusement des pieds, sans comprendre, le parquet craquant dans votre tête en rythme sans que personne puisse nous entendre.

> Au prochain épisode : alors que le chien et sa copine discutent pour savoir si elle va consommer sexuellement son cadeau, coup de théâtre : elle est vivante !

La scène 3D du crime : interview du décor Par Ludovic Bablon
Le Matricule des Anges n°59 , janvier 2005.
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