Journal de l’amour
Anaïs Nin (1903-1977) fut une diariste de la trempe d’Amiel : graphomane comme le fut l’écrivain suisse un siècle plus tôt, elle commença son Journal à l’âge de 11 ans pour laisser à sa mort l’équivalent de 35 000 pages.
Volet à part dans cette immense saisie du quotidien, hésitant entre l’autobiographie et la fiction, ce Journal de l’amour, non expurgé mais amputé ici de sa première section Cahiers secrets (Henry et June), couvrant les années 1931-1932, entraîne le lecteur dans l’extraordinaire vie sexuelle et sentimentale de celle qui n’aspirait pas à vivre « dans un monde ordinaire comme une femme ordinaire ». Elle y expose les « mensonges héroïques » qu’il lui fallait commettre pour pouvoir vivre trois liaisons en même temps (avec Henry Miller, Hugh Guiler son mari et Otto Rosenfeld, le psychanalyste autrichien), y décrit sa relation incestueuse avec un père qui l’avait pourtant abandonnée à l’âge de 9 ans, et y livre le récit stupéfiant de son avortement, réalisé volontairement lors de son sixième mois de grossesse. Tour à tour femme d’une nuit et compagne dévouée, analyste et névrosée, frivole et artiste (capable alors de pousser Henry Miller à donner le meilleur de lui-même), Anaïs Nin apparaît dans la richesse de ses contradictions, ne se montrant guère fidèle qu’envers son Journal, qui devient « un personnage » le 18 janvier 1936, et auquel elle confie : « t’abandonner revenait à abandonner toute une part de moi-même ».
Toutes ces pages ont beau croiser les présences légendaires d’Antonin Artaud, Brancusi, John Erskine, Frank Waldo, Gonzalo Moré, Chana Orloff et Rebecca West, elles n’en comportent pas moins des longueurs, ce qui est sans doute la loi du genre.
Journal de l’amour (1932-1939) de Anaïs Nin
Traduit de l’anglais par Béatrice Commengé
Le Livre de Poche, 1404 pages, 25 €