Le court récit de voyage de l’écrivain allemand Paul Nizon s’attache à ne pas « jouer » au petit manuel du parfait voyageur mais impose un ton nonchalant où se raconte la dérive d’un être. Pas de sentimentalisme mais une précision de l’incertain, un goût pour l’évanescence que favorise une découverte hagarde du monde. Adieu à l’Europe est déjà un aveu par son titre : pour la première fois l’écrivain quitte son territoire d’origine pour l’Asie du Sud-Est : l’île de Sumatra, l’Indonésie et une partie de la Malaisie. Écrit sept ans plus tard, en 1982, l’auteur s’applique à vivre par la mémoire un retour dans les perceptions et les souvenirs. Le voyage ne fut pas solitaire : Paul Nizon l’a effectué en compagnie de Willy Spiller. D’un côté la narration épouse les cahots de la route, de l’autre les photographies en noir et blanc avancent comme les preuves d’un temps que l’union des deux arts pourtant dissipe. Une procession de visages et de demeures traverse le récit où l’habitude et la surprise n’apparaissent pas à des places désignées d’avance : « Ce qui s’annonçait, pensai-je à l’aéroport, c’était un fantastique dérèglement de mon atlas intérieur. Mais rien de tel ne se produisit. Je parcourus ces horizons tropicaux dans une disposition d’esprit indolente, absente. La part d’expérience contenue dans ce que je restitue ici est à peu près la même que si j’avais tout survolé dans un aéronef hermétiquement clos. » La nature et le climat, progressivement, bouleversent les perceptions du lecteur jusqu’à restituer une épaisseur propre au continent asiatique. Jusqu’à remplir les oreilles du lecteur de cette musique indonésienne mélancolique, et par là même heureuse…
Adieu à l’Europe de Paul Nizon/Willy Spiller
Traduit de l’allemand par Bernard Kreiss
Actes Sud, 60 pages, 16 €
Arts et lettres Un air d’orient
janvier 2004 | Le Matricule des Anges n°49
| par
Maïa Bouteillet
Un livre
Un air d’orient
Par
Maïa Bouteillet
Le Matricule des Anges n°49
, janvier 2004.