C’est un lézard au cœur de pierre, aux pattes figées dans l’éternité. Seule sa silhouette s’éveille de la torpeur. Elle flambe au soleil à l’heure brûlante qui grésille sur les toitures de Maillane, un village des Bouches-du-Rhône, à quelques kilomètres de Saint-Rémy-de-Provence et de Tarascon. Gravé sur la façade, un tercet de Frédéric Mistral orne ce cadran solaire qui paresse sous la lumière crue dégringolant des Alpilles. « Gai lesert, béu toun soulèu/ L’oura passo que trop lèu/ E deman ploura belèu » (« Gai lézard, bois ton soleil/ L’heure ne passe que trop vite/ Et demain il pleuvra peut-être »). Prix Nobel 1904 partagé avec l’Espagnol Echegaray et fondateur en 1899 du Muséon Arlaten à Arles, Frédéric Mistral vécut avec sa mère dans cette « Maison du lézard », où il accueillit Paul Arène et Alphonse Daudet, écrivit Mireille, Calendal, Le Trésor du Félibrige.
En 1876, après son mariage, Frédéric Mistral fit bâtir à 47 ans, face à cette « Maison du lézard » aux volets verts, une résidence à vocation de musée. Ce sanctuaire royal fut enrichi par Frédéric Mistral jusqu’à sa mort, le 25 mars 1914. Dans ce monument éblouissant, le fondateur en 1854 du Félibrige une réunion d’écrivains attachés à la renaissance et à la sauvegarde de la langue d’oc exalta la Provence, le terreau de son inspiration. Dès 1859, la lecture du poème épique Mirèio (Mireille), adapté au théâtre lyrique par Gounod, avait incité Lamartine à l’accueillir parmi les « chantres de nos climats ». Cette reconquête fut sublimée dans Le Trésor du Félibrige, dictionnaire de la langue provençale (1878-1886). Né en septembre 1830 au Mas du Juge, à moins de deux kilomètres de Maillane, Frédéric Mistral ne quitta jamais la localité. « Il est dans le fameux village comme dans sa maison ; toutes les pierres et les tournants y sont en quelque sorte humanisés par sa présence. Son ombre projetée est partout », écrivit Léon Daudet.
Aujourd’hui, les pièces de la maison de Maillane, restaurée en 1994, semblent prolonger, avec une absolue fidélité, l’œuvre encyclopédique du fondateur du journal L’Aioli. Du vestibule à la salle à manger, du cabinet de travail de Mistral au salon où s’expose le bureau de Lamartine, un parcours se dessine au cœur de la civilisation provençale. Dans la bibliothèque de cet « humble élève du grand Homère », un cliché réunit Frédéric Mistral et Léon Daudet photographiés au mas de Vert, en Camargue. Sous l’hospice du poète, dont une statue majestueuse du sculpteur Achard trône dans le jardin, le visiteur guette la barbe d’Alphonse Daudet, le visage d’Anna de Noailles, la silhouette du président Raymond Poincaré, tous hôtes de Frédéric Mistral… Même l’Amérique franchit le seuil de la maison. Devenu directeur de cirque, l’aventurier Buffalo Bill, convive de la reine Victoria et du pape, salua Frédéric Mistral à Maillane lors d’une tournée en France au début du siècle. « Je suis classé, je fais partie de la tournée, comme les arènes d’Arles et les antiques de Saint-Rémy », plaisanta un jour le Nobel. Dans son jardin, où il aimait à s’asseoir sur un banc, sous un tamaris, Frédéric Mistral épiait l’embrasement du ciel. Une harpe résonnait. Telle était sa devise : « Lou soulèu me fai canta ». « Le soleil me fait chanter »…
Histoire littéraire Le souffle de Mistral
novembre 2003 | Le Matricule des Anges n°48
| par
Pascal Paillardet
Maillane, la maison de Frédéric Mistral abrite l’âme de la Provence. Et le souvenir incandescent d’un poète de langue d’oc dont l’œuvre se réchauffait à « la flamme divine de la poésie ».
Le souffle de Mistral
Par
Pascal Paillardet
Le Matricule des Anges n°48
, novembre 2003.