Présenté comme le « carnet poétique de l’année qui s’écoule entre l’été 2001 et l’été 2002 » (de juin à juin très exactement), Opérations « raconte la plus grande histoire de tous les temps : celle d’être ». Qu’est-ce qu’« être » pour Hubert Lucot ? Comme dans les livres précédents (Probablement et Frasques surtout), cela sous-entend de s’inscrire dans une histoire à la fois individuelle et collective.
L’auteur arpente donc les territoires de sa mémoire, plongeant son épuisette presque au hasard dans un passé privé et intime (de 1938 à 2001, avec une nette préférence pour la période 1952-1965), ramenant à la surface quelques événements existentiels majeurs : un soir d’août 1957 avec Anne Marie (quelques jours après leur rencontre), la conception de leur fils Emmanuel en mai 1959, l’abstinence absolue d’alcool décrétée en 1984, l’arrêt du tabac en janvier 2000, une intervention chirurgicale… Et si l’épicentre de cette promenade autobiographique demeure Paris, et plus précisément le Marais près duquel il vit, la caméra intérieure n’en part pas moins d’elle-même à Soulac, Saint-Paul-de-Vence, Milan, Cordoue, Nagasaki…
Une autre réalité, celle-ci collective, vient percuter l’être Lucot : l’actualité (« perce mon bien-être la tragédie politique »). Ce voyage « dans le temps immédiat » rencontre donc l’attentat du 11 septembre (de la même manière que Simulation s’était heurté à la tragédie du Heysel), voit Glucksmann présenter son dernier livre, enregistre la surprise du premier tour de la présidentielle en France (pays où « tout finit par des merguez »). Cette fois, le voyage n’a rien d’une villégiature ; Lucot s’emporte, contre Sharon, contre Bush (« petite frappe »), contre Blair, Sarkozy (« un comique irritant »), et contre l’air du temps : « On apprend aux jeunes gens la fierté de l’ignorance, l’audacieux courage de « ne pas se prendre la tête » et de condamner à mort l’élitisme » (la satire couve). En somme, « Ça va mal dans les pays et en douce France ».
Fidèle au mouvement de va-et-vient qui innerve ses livres récents, Hubert Lucot laisse les passés communiquer, l’histoire individuelle susciter l’histoire collective, ou inversement : « Je me souviens de la mobilisation des communistes et « progressistes » contre Ridgway, le chef américain des troupes engagées en Corée, au printemps de 1952 ; je me souviens du manche de ma raquette de tennis sortant de mon précaire sac de sport fermé par une cordelette comme un sac à provision ». Heureusement, entre deux opérations (qu’elle soit militaire ou chirurgicale), il reste encore un peu de réel, telle cette culotte jetée sur un fauteuil ou ce « délicieux jardin du Luxembourg ». Et le réel, pour Hubert Lucot, c’est l’occasion de laisser sa plume s’exprimer, la phrase s’étirer, et de séduire le lecteur par l’acuité de son regard : « la pluie a cessé, un soleil humide comme un bourgeon lève les couleurs herbe, eau vert-noir du bassin, pierre calcaire, sable, s’affaissant en de faibles...
Dossier
Hubert Lucot
La planète Lucot
juillet 2003 | Le Matricule des Anges n°45
| par
Didier Garcia
Un auteur
Un livre