Le troisième roman de Slimane Benaïssa est monstrueux. Après Le Silence de la falaise qui dans une narration hallucinée nous faisait vivre la descente aux enfers d’un dramaturge frappé de censure dans l’Algérie de 1976, l’écrivain délaisse ici la chair romanesque au profit de l’exploration du pire. Face à l’effroi dû aux événements du 11 septembre 2001, c’est en musulman responsable que l’homme s’est attelé à la tâche de nous mettre à la place d’un des terroristes. Non pas pour tracer sur les cendres des victimes une fiction anecdotique et obscène, mais pour démonter, de l’intérieur, la mécanique implacable de l’embrigadement. Nous sommes donc Raouf, jeune Américain de mère libanaise et de père égyptien. Raouf a trente ans et vient de perdre son père. Cette mort provoque une crise profonde d’identité « j’étais sur une faille que je portais en moi. Je ne pouvais m’en sortir sans sortir de moi. » Son ami Athmane, un Palestinien également chercheur en informatique, lui offre la voie d’une renaissance : celle qui passe par le repentir religieux. Musulman, Raouf et sa famille l’étaient comme le sont beaucoup : quelques règles simples et le cérémonial des fêtes religieuses à respecter. Pour le reste, les parents de Raouf ont surtout veillé à faire de lui un Américain moderne. La rencontre avec le religieux conduit Raouf, dès les premières pages du livre, dans une ascension exaltée vers la Rédemption. Athmane, grand frère ou père d’adoption, habité par la guerre que les Palestiniens mènent ou subissent contre Israël, lui offre la figure droite et intransigeante dont il a besoin. Dès lors, nous allons le suivre sur le chemin qui conduit, inexorablement, vers l’innommable.
Slimane Benaïssa dresse d’abord une colonne vertébrale théologique à son roman. Il s’agit, en donnant à lire un chapelet de prêches galvanisateurs, de montrer comment l’islam en interrogeant le sens de nos existences, peut, détourné par les extrémistes, apporter une réponse radicale et politique aux souffrances de chacun. L’auteur puise dans les textes sacrés, les fait jouer sur la réalité politique et sociale de l’Occident. Le trouble naît alors sur le fait que ce que dénoncent les cheikhs exaltés, on pourrait le dénoncer nous aussi. Le socle est commun, leur vision du monde peut aussi être la nôtre. Dans la quête de sens, dans la critique du monde occidental, dans l’exposition des conditions faites aux faibles, il n’y aurait rien à redire. On est troublé, dérangé, agressé par cette acceptation qu’on ressent à ce que disent les intégristes. L’auteur, loin de caricaturer le mal, lui donne au contraire une origine réaliste, plausible. Surtout, en nous faisant partager les doutes de Raouf, il nous soumet à la pression que le jeune homme subit. Pour renforcer l’humanisme du roman, Slimane Benaïssa dresse deux figures féminines fortes : celle de Jenny, la compagne que Raouf devra rejeter pour l’islam, et, surtout, sa mère, pleine de douleurs et de sagesse mêlées. À l’acuité...
Dossier
Slimane Benaïssa
Au nom de Dieu
mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44
| par
Thierry Guichard
Un auteur
Un livre