Avant d’aligner à l’étage le plus gros des troupes, la bibliothèque de Pierre Autin-Grenier a déployé son avant-garde entre la cuisine où Aline s’affaire, et la table de repas où un vin rouge du Mont Ventoux s’apprête à libérer ses saveurs de fruits rouges. Il y a là, immédiatement reconnaissables quelques bonnes lames de la collection Poésie/Gallimard. Mais aussi de valeureux grognards sur lesquels le temps a laissé sa patine. En bon capitaine, l’écrivain salue d’abord Yannis Ritsos (1909-1990) découvert en 1971 dans une présentation d’Aragon, Cavafy (1863-1933), Jean Follain (1903-1971) dont quelques vieux livres témoignent de l’usage qu’il en fit.
Cités au champ d’honneur, Georges L. Godeau (1921-1999) et Yves Martin (1936-1999) réaffirment le goût de notre hôte pour les textes courts. « Yves Martin, si j’ai beaucoup aimé le lire, ne m’a rien inspiré du tout. Alors que Follain, je le lisais le matin et j’étais sûr de travailler l’après-midi. Pareil pour Ritsos qui a influencé Histoires secrètes. »
Les alliés américains ont débarqué ici : nouvellistes à la mode Montana comme Rick Bass qui côtoie le franc-tireur admiré, Richard Brautigan. « J’avais eu un articulet dans Le Magazine littéraire à propos de L’Ange au gilet rouge « on pense à Brautigan » alors je suis allé à la librairie voir ce que c’était. Il m’a donné la liberté de faire des titres comme Une andouillette abandonnée par ses parents. Après j’ai un peu forcé… » À côté, Raymond Carver : « mais ses livres que j’aime bien sont là-haut dans la chambre. » Celle-ci, à l’étage, affiche un uniforme lumineux. Contre le mur ne sont rassemblés que les livres au dos blanc ou crème. Aux grognards succèdent les grincheux : Céline et Thomas Bernhard ensemble, auxquels se sont joints Cioran et Calaferte. Voilà un quatuor littéraire qui surprendra ceux qui voient encore en Autin-Grenier un doux poète de province… Cigare au bec, le capitaine feuillette Promenade dans un parc (Denoël). Quelques amis semblent ici converser par livres interposés : Gil Jouanard, Casimir Prat, Jean-Pierre Georges et quelques poètes du Dé bleu, Jacques Réda aussi. Dans un autre genre, c’est William Cliff qui sort du rang… Pavese est là, lectures anciennes, et Gombrowicz dont l’écrivain saisit Trans-Atlantique « un chef d’œuvre pour moi ». Puis, tout en haut, Pierre Michon avec un exemplaire des Vies minuscules du premier tirage signé par l’auteur : « Pour Pierre Autin-Grenier qui, comme moi quoiqu’ayant beaucoup lu a bu davantage ». La visite se poursuit par la chambre-bureau, et le contraste est saisissant. Cette pièce ressemble presque à une crypte. Sur le mur, un des portraits de Pierre Autin-Grenier peint par Shahda semble à l’instant sortir de la pénombre. Une bibliothèque derrière le bureau neuf offre une multitude de portraits et bien plus de livres encore. En face, une autre met en vitrine des livres empilés : on y retrouve L’Arpenteur avec notamment Jean-Pierre Ostende. Des Verdier, dont Emmanuel...
Dossier
Pierre Autin-Grenier
Les compagnons de l’ombre
janvier 2003 | Le Matricule des Anges n°42
| par
Thierry Guichard
Un auteur