Comment s’arrêter d’écrire un livre ? Quand décider de quitter l’espace exploré dans ses phrases ? Comment quitter cette douceur, expansion illimitée des possibilités d’association, comment redescendre ? Comment vivre après ? Lendemain de fête difficile. Jambes lourdes, neurones endoloris. Recommencer ? Après avoir passé près de cinq années à écrire Retour définitif et durable de l’être aimé, Olivier Cadiot n’attend que quelques mois pour faire paraître Fairy queen. Manière de post-scriptum au précédent, ce court texte trouve vite son rythme propre. Ce n’est pas vraiment une suite mais plutôt, dirait peut-être l’auteur, un tour de vis supplémentaire à effets rétroactifs.
Invitée à lire ses poèmes chez Gertrude Stein, la narratrice est une sorte de double extraverti du narrateur du Retour, excroissance joyeuse et qui ne boude pas son bonheur de se fondre dans les phrases d’Olivier Cadiot, dans cette souplesse acquise, cette liberté assumée dans la souplesse d’écrire en longues brasses coulées, purs mouvements lents d’une nageuse olympique qui se prendrait pour une fée invitée à faire une performance. Il faut lire le livre avant tout pour cela, pour ces moments de lâcher prise où, profitant de cinq ans d’entraînement intensif, l’écrivain prend un plaisir manifeste à ne plus se retenir de simplement écrire, vagues après vagues, longs paragraphes de pure ductilité syntaxique, plasticité jouissive de la pensée ressentie dans ses sensations, son déroulé.
Dans les remontrances qu’adresse Gertrud à la fée à l’issue de sa lecture, on devine qu’Olivier Cadiot s’adresse à lui-même, se reprochant sa nostalgie récurrente, son goût pour les images mortes, ses « petites projections idylliques », sa manie du noir : « tu te crois perpétuellement dans une scène traumatique importante, tu penses toujours que tout le monde s’intéresse à ce que tu vas dire. » Du coup, c’est le lecteur qui se sent interpellé et qui, remettant en question sa propre lecture, se demande s’il ne s’est pas laissé enfermer dans ses petites visions à lui, ses petits chemins balisés, ses parcours neuronaux habituels. Mais l’autocritique est une invitation à une fête.
Sous nos yeux le passé contenu dans le précédent livre s’autodétruirait, ne laissant plus place qu’à une pure gestuelle de l’écriture. Une gestuelle ? Fairy queen raconte notamment le moment où dans Pierrot le fou, Jean-Pierre Belmondo et Anna Karina imitent la guerre du Vietnam à la terrasse des cafés pour les touristes. « Ça a déclenché ma vocation », dit la fée. C’est vrai qu’on voit bien l’auteur mimant son propre livre pour en accentuer les effets, pour s’en moquer, pour le raconter, pour passionnément chercher à nous l’expliquer. Et d’ailleurs, puisque la lecture chez Gertrude Stein sera suivie d’un bal, on pourra se demander pour finir s’il ne s’agirait pas simplement, dans l’écriture même d’Olivier Cadiot, d’atteindre une telle plasticité, une telle mobilité, que l’écriture projetée au devant...
Dossier
Olivier Cadiot
On dansera
novembre 2002 | Le Matricule des Anges n°41
| par
Xavier Person
Après Retour définitif…, Fairy queen achève de faire exploser le passé dans le présent. Et comporte une invitation à déjeuner chez Gertrude Stein. Tenue correcte exigée ?.