Ethan Canin est un écrivain méticuleux, précis. Ce médecin américain écrit avec un scalpel. Les quatre nouvelles qui composent Le Voleur du palais sont des miniatures, de petits exercices de vivisection. Il isole des fragments d’existence, s’immisce dans l’intimité de personnages anodins, tous spectateurs impuissants d’un monde qu’ils ne comprennent plus. Au cœur du recueil, deux pères de famille dépassés par les bouleversements des années 70. Canin s’attache à ces « gens de bonne volonté qui assumaient ce qu’ils pouvaient, un combat après l’autre », et pour lesquels la vie de leurs enfants est devenue, au sens propre, « inimaginable ». Ils essaient de les suivre, écoutent comme eux du rock et fument des pétards, mais à leur vaine question, « tu le sais bien, n’est-ce pas, que ces temps de folie vont passer », répond seul, le silence des fils. Les deux personnages qui ouvrent et ferment le recueil, un vieux professeur d’histoire antique et un comptable sourcilleux, cherchent eux aussi à surseoir à cette terrible sentence : se sont-ils vraiment trompés sur tout et, depuis le début ? Tous deux ont consacré leur existence à suivre quelques principes désormais désuets, dans un monde où, servies par l’argent, l’imposture et la supercherie font loi. Le professeur -rongé par la culpabilité pour avoir malgré lui encouragé la tricherie d’un élève-, comme le comptable -dont les scrupules ont enrayé la carrière-, interrogent en vain leur passé et cette petite phrase d’Héraclite, « le caractère est la destinée ». Ethan Canin est féroce. S’il lui manque parfois la tendresse d’un Raymond Carver pour envisager ces cols-blancs, « Babitt » hors-circuit qui ne trouvent plus leur place dans le rêve américain, il donne pourtant à lire un seul et beau récit, celui de la quête de soi dans une société rongée par le matérialisme.
Le Voleur du palais
Ethan Canin
Traduit de l’américain
par Marianne Véron
10/18
230 pages, 41 FF
Poches Pocker-menteur
janvier 1999 | Le Matricule des Anges n°25
| par
Anne Riera
Un livre
Pocker-menteur
Par
Anne Riera
Le Matricule des Anges n°25
, janvier 1999.