Quand il m’arriva de douter de la justesse de mes débordements, que ce fût dans la vie ou dans l’écriture, il y eut toujours une femme pour m’apprendre, par l’émotion, que cette vérité des audaces, dont je doutais, elle la faisait sienne et indubitablement, cette fois. Cela n’empêche que je me suis souvent trompé, mais au moins sur un point, j’ai une certitude, et c’est celle que le suc de la science essentielle, qui m’importe plus que les sciences enseignées, je ne pouvais échapper à l’exquise fatalité de le puiser aux entrailles des créatures soit lisantes, soit aimantes, ou encore en quelques cas, aimantes d’avoir lu. Cette science essentielle, je n’en vois jamais le bout. C’est dans l’être insondable qu’elle erre, et c’est de l’être insondable qu’elle parle. Enfin c’est de l’être insondable qu’il advient qu’elle remonte, balbutiante, le temps d’un vertige, d’une dissolution de toutes nos sciences acquises. Et soudain, nous ne voulons savoir rien d’autre que cela qu’elle nous donne à voir, vite, et à entendre, avant qu’il soit trop tard : nous sommes plus que ce que notre raison et la raison générale nous assurent que nous sommes. Nous sommes le possible de nos abîmes, nous en sommes la conscience, irrigante, fondatrice, irréductible à l’esprit de géométrie.
Ce n’est donc pas un hasard si j’évoque si souvent le Ventre de la Femme. Évoquer est d’ailleurs un mot faible. Il faudrait dire invoquer, comme si c’était, en plus de quelque chose de puissant, quelque chose de tout-puissant. « Dieu est un ventre de femme », écrivis-je un jour, passé l’instant où mon ivresse d’athée et son extase sans foi, en se chevauchant, se répandirent mystiques lors même qu’elles n’étaient qu’organiques.
Ce Ventre est un lieu à la fois terriblement profane et délicieusement sacré… je ne lasse guère d’y ramener celui de mes multiples commencements, et recommencements : naissance à ce monde, certes, mais aussi naissance au verbe, naissance aux ténèbres, les primordiales et les psychologiques, naissance aux grands désordres du sexe, naissance aux cultures viscérales, et au sens dont je m’acharnai à recharger les mots qui en dérivent, naissance aux fascinations combinées de la vie qui est prête à tout et de la mort qui n’est suivie de rien.
Ce qui s’est passé entre ce Ventre des femmes et mon écriture, je crois que ce n’est pas une affaire ni de style, ni de situation. Après tout, les romans abondent dont la femme est le centre. L’événement Ventre-Écriture est de la même veine énigmatique que cette pensée chinoise : « Vous n’êtes pas un poisson. Comment savez-vous ce qu’il en est du bonheur des poissons ? Vous n’êtes pas moi, comment savez-vous que je ne sais pas ce qu’il en est du bonheur des poissons ? ».
Je ne sais pas ce qu’il en est du ventre des femmes, mais peut-être que des femmes aiment la manière déraisonnable et éperdue dont je ne le sais pas. Je mets peut-être des mots sur les sensations sans nom, sans voix, étranges, qu’il leur...
Dossier
Marcel Moreau
Femme, toi dont jamais mes livres ne manquèrent
septembre 1998 | Le Matricule des Anges n°24
Un auteur