La naissance d’une nouvelle revue de création n’est pas un événement rare. Partout et à tout moment, de jeunes gens ou de moins jeunes se lancent dans une aventure dont ils espèrent qu’elle permettra au moins de combler un vide : celui d’une littérature qu’ils défendent. La première livraison de Quaderno, injustement daté « printemps 1998 » (imprimée en juin) marque la volonté du poète Philippe Beck de présenter et faire vivre « une poésie difficile » comme il est dit dans la profession de foi qui ouvre le numéro. Sont donc convoqués, histoire probablement de ne pas rater l’accouchement, des auteurs propres à attirer la bienveillance des lecteurs : la notoriété de Jean-Marie Gleize, Jude Stéfan, Michel Deguy, Pierre Alferi, Paul Louis Rossi, John Donne et Christian Prigent devrait suffire à rassurer le lecteur soucieux de son argent. Le risque affiché est donc moindre et c’est tant mieux : au terme de la centaine de pages de ce joli format carré, on ne souhaite que la pérennité de Quaderno. Trois autres noms terminent la liste des auteurs convoqués : Philippe Beck, bien sûr, Charles Pennequin et André Ajens dont une traduction allègre nous est proposée. Aucune indication biographique, nul texte théorique, nulle note de lecture : le lecteur entre de plain pied dans le texte et ne doit pas s’attendre à être pris par la main. Le choc est à craindre : si un semblant de sens apparaît dans le texte d’Alferi (drôle au demeurant), dans celui de Gleize (à la sensibilité détournée) que dire de celui de Beck sinon qu’il assume avec l’air de l’évidence des vers habillés de leur seul rythme ? Heureusement que l’on respire un peu avec Paul Louis Rossi qui mêle journal et poésie autour de la figure de Lautréamont. Bobines de Charles Pennequin fait trop penser à Beckett pour qu’on n’en soit pas déçu. La revue se clôt par la convocation des anciens où l’on se délecte d’un poème érotisant de John Donne (1572-1631) et où on reçoit une très séduisante leçon de Christian Prigent autour d’un rondeau de Clément Marot (1496-1544). A la fois très savant, habilement subjectif et très drôle, il prouve l’impeccable modernité de l’amuseur du roi. L’auteur de Ceux qui merdrent s’engageant à faire de même avec Mallarmé et Ronsard, vous avez là une raison suffisante pour vous abonner.
Quaderno N°1 - 92 pages, 70 FF (abt : 140 FF)
Editions MeMo (4, rue Prémion 44 000 Nantes)
Revue La modernité, Késako ?
septembre 1998 | Le Matricule des Anges n°24
| par
Thierry Guichard
Résolument contemporaine, Quaderno signe sa naissance d’un numéro fort réussi. Reste à trouver des lecteurs pour cette « poésie difficile ».
Un livre
La modernité, Késako ?
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°24
, septembre 1998.