Un homme doit retrouver sa bien-aîmée à l’aube : le nouveau roman de jean-Pierre Siméon nous fait toucher du doigt l’épaisseur de la nuit
Poète récompensé par les prix Apollinaire et Artaud, Jean-Pierre Siméon poursuit une oeuvre en prose dans des récits qui n’ont pas la nature lyrique de ses poèmes et dans lesquels passent, au sein d’un univers régi par les lois obscures de l’amour, des êtres blessés en quête de guérison.C’est plus exactement un égaré que le lecteur peut suivre dans son nouveau roman un livre où la chair comme l’obscurité sont palpables. Au coeur de cette profonde nuit, Jean-Pierre Morin semble en effet le reflet de nos hésitations et de nos craintes amoureuses. Seule la venue de sa bien-aimée le relie à l’aube. Et c’est la traversée de la nuit qui va mettre son amour à l’épreuve.
Les premières phrases de Matière nuit situent d’emblée l’impatience née de cette attente : « Elle sourirait. Il resterait là, debout, droit, muet comme un mort. La stupeur, il en était sûr, précéderait la joie, si elle venait jamais. Il ferait un peu froid sans doute. À six heures en septembre (ce serait six heures douze exactement) l’air est vif. Surtout dans cette ville enfouie : l’air qu’on y respire a forcément franchi les montagnes et la nuit des forêts. »
Ému avant l’heure par ces retrouvailles avec son amie, Jean-Pierre Morin fait les frais de ses représentations amoureuses. Non pas en affrontant l’innommable mais en découvrant dans l’épaisseur de la nuit d’autres moeurs, d’autres liens que ceux auxquels sa raison l’attache.Matière nuit devient alors une lente procession de personnages qui apparaissent comme des ombres projetées par la nuit, informelles, insaisissables, incompréhensibles. Leur comportement met en péril la nature rationnelle de Jean-Pierre Morin, mais révèle aussi sa curiosité, son voyeurisme, motivé aux yeux du personnage par le désir de tuer le temps. Qu’il s’agisse d’une prostituée, d’une ancienne amie, d’un homme énigmatique parlant seul dans un bar, d’un curé que Morin va suivre dans sa tournée nocturne et qui n’hésitera pas à faire l’amour avec une jeune fille sous ses yeux, les êtres de ce récit obéissent à des lois différentes de celles connues le jour et incarnent différentes tentations que Morin contemple sans goûter.La lente dérive d’un homme dans les rues d’une ville que nous décrit Jean-Pierre Siméon est d’autant plus belle qu’elle refuse de s’abandonner aux paysages « glauques » qu’elle traverse pour choisir ce qui fait sens : l’être aimé.
C’est peut-être là toute l’émotion dégagée par ce roman : une fidélité à un amour lié à l’aurore que les mystères de la nuit, les êtres envoûtants qui la peuplent, ne parviennent pas à dérober.La lettre à des comédiens intitulée Algue, sable, coquillages et crevettes qui paraît en même temps (Cheyne, 60 FF) permet dans un autre registre de saisir la pensée et l’univers de Jean-Pierre Siméon. En lisant ces réflexions sur la lecture de la poésie par une troupe de théâtre, le poème nous apparaît comme la nuit du roman : une matière qu’il faut apprivoiser dans un mélange d’abandon et de lucidité.
Jean-Pierre SiméonMatière nuit
Le Castor Astral68 pages, 68 FF
Domaine français En attendant l’aurore
novembre 1997 | Le Matricule des Anges n°21
| par
Marc Blanchet
Un livre
En attendant l’aurore
Par
Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°21
, novembre 1997.