- Entretien « Je veux juste défendre une émotion »
- Papier critique Regards d’en haut
- Présentation Régine Detambel, la vie d’une enfant stakhanoviste
- Entretien Du jeu au je : apprendre à se découvrir
- Autre papier Un monde en ordre
- Autre papier Bris de verre et d’enfance
- Autre papier Ecritures abandonnées
- Bibliographie Bibliographie
On pourrait lire La Verrière comme le reflet, depuis l’autre côté du miroir, de La Modéliste. Car si le troisième livre de Detambel mettait en scène l’amour d’une femme mûre pour une adolescente, La Verrière relate celui, passionné, d’une adolescente pour Mina, une Marocaine. On pourrait aussi lire ce nouveau roman comme l’une des faces du kaléidoscopique La Lune dans le rectangle du patio et penser parfois au Jardin clos. De même, on reconnaîtra, dans le récit que la narratrice fait de ses courriers envoyés à Mina, des passages entiers de Graveurs d’enfance. La Verrière se nourrit donc des livres précédents et s’offre comme une étape nouvelle dans la progression de moins en moins retenue qui rapproche l’auteur de la part obscure génératrice de l’écriture.
Une enfant grandit dans l’incompréhension violente de ses parents. Et parce que, probablement, elle souffre trop de cette absence d’amour maternel qui l’étouffe, elle construit sa mythologie sentimentale autour de la figure de sa voisine, une Marocaine trop pauvre pour ne pas vivre sous la verrière mitoyenne. Mina offre d’emblée le rêve d’un amour exotique, avec ces odeurs, ces couleurs et ces histoires du désert qu’elle distille à l’adolescente meurtrie comme on souffle sur les plaies bénignes des enfants qui pleurent. Mais, ici, la plaie est profonde et l’enfant ne pleure pas ; elle se jette à corps perdu dans un amour qui effraie Mina, qui l’effraiera doublement. D’abord pour la part incestueuse qu’il recèle ; ensuite parce que ces bras qui s’ouvrent pour elle, rappellent trop cruellement à la Marocaine ceux de ses enfants laissés au pays. On ne donnerait pas cher d’une telle histoire sans la part de violence et de cruauté qui la justifie et la fonde. Cette violence apparaît dès le premier paragraphe du livre, comme un fait, une évidence. La mère de la narratrice, « avec toute la haine précise dont elle était capable », achète une couverture à jeter sur le toit translucide, générateur de lumière de sa voisine : « Elle la choisit solide, épaisse, foncée et urticante. Il n’y avait que ma mère pour inventer un supplice pareil et le baptiser l’étouffoir à Mina. » À la méchanceté mesquine de la mère, l’adolescente va opposer toute la fougue poétique de son amour. Ainsi, par exemple, elle demandera qu’on lui offre un sweat-shirt jaune qu’elle salira souvent pour qu’ainsi, en étendant le linge sur la verrière, sa mère sans le savoir, offre un soleil à Mina.
À cette adoption sentimentale qui lie l’adolescente et l’étrangère, la mère répondra avec une cruauté clinique, lavant le corps de son enfant teint au henné avec la large « brosse du lave-pont, qui sentait la serpillère et le chien mouillé », brûlant les lettres de Mina mais conservant celles de sa fille pour que le silence, seul, réponde à son courrier.
Violent, La Verrière ne l’est pas sans une grande sensualité, une attention portée dans le détail des choses qui rend d’autant plus poignante la blessure de l’enfance....