Pirouette d’acteur ou fausse modestie : on croit Jean-Claude Pirotte à moitié lorsqu’il avoue « se foutre » de sa propre production et avoir le sentiment d’avoir toujours été mal employé. Le cabotinage colle bien au personnage. Pourtant, à lire Plis perdus (Prix 94 de la région Poitou-Charentes), on peut accepter l’idée que cet escamoteur a raté sa vocation, si tant est que ce terme barbare et moderne lui convienne. Agencé en textes courts (chroniques, aphorismes, lettres, poèmes), ce livre pourrait ressembler à un rêve d’éditeur, « l’histoire d’un gars qui parle d’autres gars et dit que le seul bonheur réside dans la lecture.«
»Je dois mon peu de fortune, ma lumineuse misère au romanesque, cette vie qui propose la vie sans l’expliquer », confesse-t-il. Avec jubilation et finalement gourmandise, Pirotte convoque ses hétéronymes, ses voix enchanteresses qui le maintiennent en vie, tel un breuvage étourdissant. Il évoque la Charente avec Jacques Chardonne, s’adresse à Antonio Lobo Antunes au détour d’une rencontre, se rend rue des Entrepreneurs en souvenir de son cher ami André Dhôtel - « cette voix sourde et déhanchée » - chez lequel il « ne résiste guère au besoin eczémateux de gratter ces textes d’une exaspérante et suave limpidité ». A force de citations, les lectures des Jaccottet, Perros, Arland, Joubert, Nimier, Grenier et autres éclairent son territoire mental. Elles lui révèlent sa condition, lui disent que malgré tout l’espoir subsiste grâce à « ces moments où la poésie, la vie profonde, le souvenir, l’instant affleurent à la surface de l’être. » Sans leur aide, Pirotte a bien du mal à dominer son pessimisme. Ses rêveries deviennent d’une tonalité moins scintillante, rongées par le sentiment d’impuissance et de découragement. Dépouillé de sa chaude couverture livresque, il ne voit de son corps qu’un squelette hilare, et de son esprit errant que divagations d’ivrogne et d’incorrigible traînard. « Je ne suis qu’un bon à rien, qui rêvasse et bavasse dans le désordre de sa vie et des choses de l’univers. » Ou encore cette confidence : « Je donnerais tout pour être mort, je donnerais tout pour être vivant, mais je n’ai rien à donner, ni ma vie ni ma mort, rien que ce cœur momifié dont le battement futile et têtu n’épouse jamais la carcasse du monde, ni le scintillement des étoiles. »
Jean-Claude Pirotte n’a pas abandonné la partie. Il sait seulement qu’ici-bas la mélancolie d’être et le vagabondage constituent d’excellents viatiques pour rejoindre certains rivages du bout du monde ou du bout du pré que la chaleur d’une lumière, le parfum d’une femme ou la couleur d’un vin aide à reconnaître.
Plis perdus, La Table Ronde 187 pages, 85...
Dossier
Jean-Claude Pirotte
Hymne à la lecture
mars 1995 | Le Matricule des Anges n°11
| par
Philippe Savary