La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français La chronique du campagnard

octobre 1993 | Le Matricule des Anges n°5 | par Dominique Sampiero

Aux jeux des questions il en est une qui amuse beaucoup : « Si vous étiez sur un île déserte, quels livres… ? ». La pléthore d’ouvrages publiés nous condamne chaque jour à ce petit jeu. Voici trois livres pour insulaires.

Conversations avec l’espadrille

Casser les Soleils

Dans la pile des livres reçus, la main tout à coup hésite, effleure, s’arrête, ô temps suspends ton vol… Il ne se passe rien d’autre que la magie d’une rencontre, et c’est beaucoup… Aux confins de Salesches, petit village rugueux du Pays de Mormal, un livre c’est pas n’importe quoi. C’est comme une pomme, un panier d’œufs frais, un bouquet de branches vertes, ou même un morceau de lierre sur le mur, les cris des enfants dans la rue, quand il fait silence… Le moindre bruissement est une fête. L’oreille, forcément, est plus sensible. Impossible de dormir dans les chambres de Paris 6è, ni même à Lille dans le flot des voitures. Si Bachelard parvenait à le transformer en bruit de houle et de mer, le sommeil du campagnard préfère le grand silence vert. Aucune écologie douteuse, aucune nostalgie de retour au pays. Nous sommes au pays. Nous parlons comme lui. Et peut-être lui ressemblons nous, à force. On nous envie, on nous le reproche… Les pluies emportent tout ça.
Nous reprenons alors, tel Mauricio Rosencof, dans Conversations avec l’espadrille, ce long monologue d’une solitude impossible. Au plus noir d’un cachot, dans une cellule où certains sont devenus fous, d’autres sont morts, ( 2 mètres de haut, 1,50 mètre de large, ni table, ni chaise, ni lit, ni eau) l’écrivain, pris en otage avec 6 000 autres prisonniers politiques résiste à la dictature qui frappe l’Uruguay en écrivant ses poèmes sur des feuilles de papier à cigarettes : « J’enveloppais ça avec du nylon très fin et je glissais ces feuilles bien roulées dans les ourlets de chemises. Tous les mois environ, je les donnais pour que ma famille les lave… » Privé de présence et de liberté, Mauricio, comme certains parlent à leur bonnet, entre en dialogue avec… son espadrille. « Le poème est mince comme un fil, décanté, presque décharné mais extrêmement dense. Il est étroit comme une cellule. Par ce minimum de mots où la tension est grande, on est renvoyé sans cesse à l’exiguïté spatiale. » L’essentiel est dit dans ces quelques lignes extraites de la préface de Ghislain Ripault, sauf bien entendu ce que transmet le poème lui-même, cette force inouïe, muette, impalpable que même la rigueur carcérale ne parvient pas à torturer.
C’est une autre solitude, sans cachot ni barreau, mais avec un timbre et une voix déjà, qui s’ouvre et s’offre à nous, dans les Proses du fils, ce premier livre d’Yves Charnet. Nouvelles courtes ? Proses ? Récits ? Poésie ?
Cherchant son centre comme une langue oubliée, l’auteur fait remonter des rythmes, des mots, des fictions dans lesquelles le lecteur tournoie, complice et étranger.
L’adolescence est là, avec ses rages, ses passions, ses fantasmes, un érotisme de l’élan, de l’éveil, qui pourtant laisse quelque chose d’indicible, d’insaisi. Mais surtout des tranches d’âme, à vif, entre le fou rire et le glaçon dans la bouche, une écriture à danser les mots, à se suicider par les encres, à râcler l’aube avec le coq, à aimer la mère par ce deuil étrange qu’est l’amour, à rester seul longtemps de cette façon là, dans un silence sans fausse note, à ne parler ni dans le roman, ni dans le poème, mais dans la présence, par une douce folie, « l’amicale blancheur d’une douleur tutoyée… »
Une paternité. Une identité forgée par les textes ?, ne le souhaitons pas, on ne s’acharne pas à naître, on retrouve seulement un peu de nudité, d’essentiel immédiat, il n’y a pas de guérison à souhaiter à cette enfance entre les lignes, mais un paradoxe sans fin dans les étoffes froissées de ces illuminations. Ecrire : de l’énergie pour trembler.
C’est ce tremblement qu’écrit Jean Mambrino, dans Casser les Soleils. « D’une voix blanche, enfermé dehors, s’éclater un silo, dans les étoiles, toucher la fibre mine de rien, ailleurs à bras le corps, miroir à la source, sauter pour mieux reculer, l’arc-en-ciel, la deuxième question : quel versant ? » Ce n’est pas un poème, mais des titres placés bout à bout, et qui nous en disent plus long qu’un simple inventaire. Mambrino hérite de cette vigilance chère à des René Char, André Frénaud, Jean Malrieu, il boit la nuit à longues lampées, et le bruit de sa soif est là, sans déguisement, sans lâcheté. Poèmes-nids, sans arbre, sans terre, et qui pourtant font une présence à deux dans la page, lèvent un verre à la santé du désastre, et nous enracinent dans cette petite verticale fragile du dedans : le poème.

Conversations avec l’espadrille de Mauricio Rosencof
Traduction de Guy Lavigerie
Editions S.P.M. (14, rue Charles V 75 004 Paris) 180 pages, 100 FF

Proses du fils de Yves Charnet
Ed. de La Table ronde 175 pages, 79 FF

Casser les Soleils de Jean Mambrino
José Corti 140 pages, 100 FF

La chronique du campagnard Par Dominique Sampiero
Le Matricule des Anges n°5 , octobre 1993.