La rédaction Catherine Simon
Articles
Au bazar de la mémoire coloniale
Dans une langue vertigineuse de justesse et de cruauté, António Lobo Antunes ressuscite les fantômes d’Angola, mémoires cassées du Portugal.
C’est toujours le même foutu bazar, quand on entre dans un livre de Lobo Antunes, le même roulis d’histoires en miettes qui saisit et bouscule : on s’accroche à la poignée comme dans le métro, on s’accroche par réflexe et ça y est, c’est fichu, on ne bouge plus jusqu’à ce que le chapitre s’achève. À ce moment-là, on pourrait sauter, s’enfuir, ne pas écouter le chant des sirènes. Sûrement cela arrive. Il n’est pas facile à lire, Lobo Antunes. Ces phrases cassées, qui renaissent plus loin ou restent suspendues en l’air, ces voix de l’intérieur, ces torrents de mots syncopés, coulant sans...
Un livre
Bénie soit cette enfant qu’une voix dans sa tête a fait grandir
de
Warsan Shire
Bénie soit cette enfant…
C’est une enfant qui chante, une « enfant laide », dit-elle, « rêveuse inadaptée, névrotique, dissociée », qui demande à Dieu s’il est là ? et qui « chaque nuit récite des sourates » pour éloigner le mauvais œil et « protéger son corps et sa maison des intrusions ». Nous sommes à Londres et à Mogadiscio, la voix qui parle et chante est celle d’une poétesse, Warsan Shire, celle aussi de sa...
La malédiction des frontières
Aliyeh Ataei, écrivaine iranienne d’origine afghane, dit le malheur des sans-patrie et des femmes « qui ne valent rien », dans une langue éblouissante.
C’est un livre sombre et dur, dégorgeant de douleurs, c’est aussi le livre d’une libération : le chant s’élève lentement, d’abord ténu et enfantin, puis, au fil des chapitres, de plus en plus sûr et articulé, jusqu’à se transformer, à la toute dernière page, en un cri lumineux de révolte. Ce cri ne s’éteint pas. Il accuse.
La plupart des événements rapportés se passent à la frontière entre...
Free queens, de Marin Ledun
Célèbre pour son pétrole, ses cauchemars meurtriers (Biafra, Boko Haram) et la richesse de sa littérature, le géant de l’ouest africain n’échappe pas aux clichés : au rayon roman noir, qui dit Nigeria dit violence et prostitution. De Lagos Lady de Leye Adenle à Grace l’intrépide de Karine Miermont, l’inusable thématique se répète, enrichie récemment par le motif des femmes puissantes (merci...
Un iconoclaste chez les décoloniaux
L’écrivain et sociologue Elgas explore les relations « françafricaines ». Il en appelle à sortir de l’aliénation et du ressentiment.
C’est un ouvrage qui fera date – tant il éclaire d’une lumière nouvelle, souvent mordante, l’histoire longue de la pensée décoloniale, ses pionniers et ses avatars, pointant au passage quelques figures connues de la diaspora africaine francophone. Lumière nouvelle, car Elgas, de son vrai nom El Hadj Souleymane Gassama, s’il est de parti pris, au sens positif du terme, s’inclut dans l’analyse...