Titulaire d’un DESS d’économie, Francis Bernabé était plutôt destiné à devenir assureur ou banquier. Ce natif d’Allemagne, d’un père militaire et d’une mère alsacienne, trouve un job d’été à la FNAC de Strasbourg en 1980. « J’étais en instance de divorce. Il fallait que je travaille. » Il apprend le métier auprès d’Anne Schenk, future directrice de Mollat à Bordeaux. « Quand je lui ai annoncé que je créais ma librairie, elle m’a présenté à tous les éditeurs au Salon du livre de Paris. C’est comme ça que j’ai pu démarrer sans avoir de remises inférieures à 35 %. » Un luxe. Quai des brumes ouvre ses portes en 1984, quai des Bateliers (Mc Orlan raconte dans son roman qu’il visitait les dames rue des Couples, non loin de là). L’exiguïté du local (30 m2) évite la dispersion : Francis et Sylvie Bernabé privilégient la littérature et les sciences humaines. En 1987, Bohumil Hrabal, le facétieux pragois, invité à Strasbourg, échappe à son commissaire politique en se cachant dans les toilettes de la librairie. Un an plus tard, sans rapport avec l’épisode qui précède, la librairie déménage sur le même quai, double sa surface et son chiffre d’affaires. En partie grâce à son nouveau rayon art (prisé par l’École des arts décos toute proche). En 1997, c’est un renfort de poids qui rejoint l’équipe : Philippe Fusaro (auteur entre autres du Colosse d’argile, à La Fosse aux ours). « À cette époque, il était encore question de déménager. Pour développer notre fonds jeunesse ». Mais un cancer le foudoie et l’éloigne du commerce pendant deux ans. Ce « miraculé de la vie », selon sa femme, a donc installé Quai des brumes, au 120, Grande’rue, en 2004. Vingt ans après. Lors de l’anniversaire, François Maspero était l’invité d’honneur. Et il continue toujours d’approvisionner les bibliothèques de la ville avec sa vieille berline.