Marie Ndiaye, le goût des autres
Il est certaines choses dont on est sûr à propos de Marie Ndiaye. La première est, que, s’il n’en reste que quelques-un(e)s, elle sera de ceux-là, qui traversent les époques - sachant saisir notre condition humaine, ses rêves, ses forces, ses délicatesses et ses turpitudes, en vérité, par la grâce d’une langue unique. La seconde est que, vous narrer sa vie relève de la gageure, ou de l’indiscrétion, que l’on ne peut, face à sa retenue et ses sourires de pure plénitude, que se ranger à ce que semblent dire la maison aux murs colorés, la vision fugitive des deux garçons attablés devant un jeu, le visage empreint d’un sérieux émouvant pour leur âge, dans la lumière qui filtre du jardin : les gens heureux n’ont pas d’histoire. Resterait alors à vous faire partager le plaisir de rester là, dans la richesse du silence, dire la paix qui règne ici et la préserver. Mais voilà : cela ne suffirait pas à rendre justice. L’accueil est si simple, si chaleureux, et puis, l’on a fait ces heures de train pour rejoindre les rives de la Garonne, il faut donc s’acquitter de sa tâche, sans trop employer de superlatifs qui feraient hausser les sourcils, voire les épau- les - en notre époque blasée, on a perdu la foi. Quoique - c’est peut-être l’occasion de la retrouver.
Talentueuse Marie Ndiaye. Et ce, dès son - si précoce - premier roman, le bien nommé Quant au riche avenir (1985). Elle a 17 ans lorsqu’elle dépose l’ouvrage au secrétariat des Éditions de Minuit, ne connaît pas plus le catalogue de la maison prestigieuse - Beckett ne lui dit rien encore, Duras tout juste, pour avoir reçu le Goncourt avec L’Amant l’année précédente - et le souvenir se teinte d’un premier sourire placide face à l’assurance de l’adolescente qu’elle était. « J’étais contente mais ça ne me semblait pas être miraculeux, ou une chance incroyable. Je n’avais jamais rencontré de personne qui écrivait, je n’avais pas la moindre idée de ce à quoi ressemblait le monde de l’édition. On était très loin de ça… Ce n’était même pas de l’audace, il me semblait que c’était simplement normal que, quand on avait écrit un livre, on le propose, et qu’on l’accepte et le publie. Dans mon esprit d’alors parce que j’étais très naïve, très ignorante de tout ça, c’était simplement dans l’ordre des choses. »
Pour autant, avant d’être un grand écrivain - ce qu’elle confirmera rapidement - Marie Ndiaye est une jeune fille porteuse d’un regard tout de connaissance - on voudrait dire de sagesse -avec cette étonnante étude de l’esprit d’un jeune homme. Écrivain déjà, donc, forte de sa lucidité sur la nature humaine, ses complexités et ses enjeux. On est loin de la chance du débutant, comme de l’enfant-prodige, elle ne s’y est pas trompée, ne nous en rendra pas dupe. Avant d’être un métier, écrire est un travail, elle s’y est frottée, en a pris la mesure, a cherché la sienne, pour produire ce petit bijou de rigueur, de style et de perspicacité. « Ça a été un premier livre édité, mais ce n’était pas du...