Après avoir publié l’ensemble du cycle autobiographique de l’Autrichien Thomas Bernhard dans la collection « L’Imaginaire », Gallimard intègre aujourd’hui ce qui pourrait bien être considéré par les exégètes de son œuvre comme la pierre angulaire d’un vaste édifice romanesque. Car Extinction vient résoudre à lui seul une vie de questionnements et de contradictions, de haine et de délire, de frasques et de polémique. Le célèbre satiriste y pose la question cruciale qui hante toute sa prose et y trouve par la même occasion enfin une réponse : que faire de l’héritage qui nous est laissé ? La typologie narrative de Bernhard est quasi systématiquement fondée sur cette confrontation annihilante au legs. On pourrait ainsi citer Maîtres anciens ou Le Naufragé - texte fondé sur l’impossibilité des personnages à poursuivre la pratique du piano après s’être confrontés au génie du pianiste virtuose Glenn Gould. À chaque fois, chez l’écrivain salzbourgeois, il s’agit d’évoquer un désastre qui découlerait de la confrontation au passé et aux modèles imposés. On a souvent pointé du doigt son acrimonie et dénoncé le fiel émanant de sa plume, mais ce récit touche à quelque chose de profond. Tout d’abord quant à la mémoire : les fantômes de l’Histoire sont convoqués à la barre à travers le décès des parents du narrateur, un dénommé Murau. Chargé d’organiser les funérailles, celui-ci devra se plonger dans les archives familiales, pour le coup intimement liées à celles des jeunesses hitlériennes. Le lieu de l’enfance devient alors à ses yeux le symbole de la souillure. Les murs dans lesquels s’est forgé le mythe réactionnaire de l’idylle étaient en fait également ceux des bourreaux. Partout dans la propriété, on est confronté à la réactualisation du sol au regard de la catastrophe nazie. La destitution historique du paysage se généralise jusqu’à la métempsychose guerrière. Bernhard explose alors les canons consacrés de l’innocence apparente et la rhétorique de la fertilité. Il en profite pour s’interroger tour à tour sur l’hérédité et
Extinction
de Thomas Bernhard
Traduit de l’allemand par Gilberte Lambrichs
L’Imaginaire, 508 pages, 9 €
Poches Extinction
octobre 2009 | Le Matricule des Anges n°107
| par
Benoît Legemble
Un livre
Extinction
Par
Benoît Legemble
Le Matricule des Anges n°107
, octobre 2009.