Wadji Mouawad à Avignon, le rayon d'Orphée
Il demeure chez Wajdi Mouawad comme la trace d’une enfance, qui évoque la dernière phrase de ce livre, retraçant la création du Sang des promesses : « L’enfance / Qui est le véritable pays / Celui où l’on n’arrive jamais ». Il y a aussi une douceur et une grande disponibilité chez lui, en dépit de la fin des répétitions de Ciels et de la fatigue préalable au Festival d’Avignon. Sous le cerisier de ce gîte où, en plein soleil, nous le retrouvons allongé dans un hamac, il parle d’une voix basse, parfois hésitante, les yeux fixés sur un point absent, avant de s’animer parfois pour une réponse et de digresser alors dans une métaphore ou une anecdote qui ne le ramènent que plus sûrement à la question initiale, mais toujours en dernier lieu. On est alors saisi par le contraste qu’il y a entre ses hésitations et son goût pour le récit, qui donne parfois à ses réponses comme une sorte de vie propre. Mais s’il s’excuse de son bavardage et demande parfois qu’on l’interrompe, c’est avant tout parce que transparaît surtout chez lui comme un besoin de silence.
Wajdi Mouawad, votre théâtre est le théâtre d’une quête des origines, que vos personnages s’en vont chercher. Vous citez, en épigraphe de votre pièce Littoral cette phrase d’Hölderlin : « Nous ne sommes rien, c’est ce que nous cherchons qui est tout ». Que dit cette phrase de votre écriture ?
Elle me renvoie instinctivement à l’idée d’odyssée. J’ai cru longtemps que j’étais en quête, jusqu’à ce que je comprenne qu’en fait, non. L’odyssée, c’est être loin et essayer de rentrer à la maison. En se disant que le chemin est perdu, mais que ce n’est pas parce qu’il est perdu qu’il n’y a plus de chemin. Donc, comment trouver le chemin ? Le chemin, pour moi, ce sont les sensations. À partir de là, la notion d’identité devient une notion extrêmement sensible, intuitive, et pas une question sociologique. On me demande souvent : « Vous êtes né au Liban, vous avez vécu en France, vous avez appris le français en France, le théâtre au Québec : d’où êtes-vous ? » Cette question a longtemps été pénible pour moi car elle me renvoyait à quelque chose que je n’arrivais pas à nommer et, donc, à laquelle je ne pouvais pas répondre. J’ai fini par formuler ce « concept » il y a cinq ou six ans en me disant que nous avions tous dans la vie des « non advenus ». Pour moi, le « non advenu », c’est de pouvoir dire « Là, c’est chez moi ». Je peux dire qu’un lieu précis m’a touché, que je m’y suis déjà senti bien, mais c’est tout. Par contre, je peux répondre à la question « où êtes-vous le mieux ? » : je suis bien, là, dans un jardin, au soleil… Et pour moi, c’est intéressant car la question du « chez soi » devient du coup quelque chose de sensible, quelque chose où la nature a sa place. Voilà une façon de trouver le chemin, de rentrer chez soi. Ce n’est peut-être pas le chemin d’où on est parti, mais il est beau. Et finalement, il devient votre rapport au monde, et je n’ai pas nécessairement envie...