« Je peux te prêter mon bras pour un soir », dit la fille. Et, le détachant de son épaule droite, elle le prit dans sa main gauche et le déposa sur mes genoux. » Dans « Le Bras », nouvelle fantastique et infiniment poétique, un jeune homme passe une nuit troublante, d’un érotisme délicat, auprès du bras de son amie, et s’initie à la transgression des tabous sexuels et identitaires. Autre écriture, plus dense, plus opaque, pour « La Beauté, tôt vouée à se défaire », qui démêle l’écheveau compliqué des motivations, réelles ou fictives, d’un crime. Cette enquête littéraire et philosophique aux frontières de l’imagination interroge le rôle de l’écrivain, sa fascination pour la mort, la tentation du mensonge. Elle requiert une lecture patiente et appliquée, parfois fastidieuse. En revanche, la première de ces nouvelles toutes deux inédites est saisissante : le membre de la jeune fille, métonymie hallucinée de la possession amoureuse, donne à la chair endormie une dimension sensuelle et esthétique inatteignable dans l’éveil. Au point que le narrateur cède bientôt à l’envie de le faire sien… « Je continuai à fixer le bras posé sur mes genoux. Une vague lumière flottait à la saignée du coude. Je repliai imperceptiblement le bras pour concentrer cette lueur et, le soulevant, y posai mes lèvres pour l’aspirer. » La sensibilité, la grâce, le souffle de Kawabata, prix Nobel en 1968, font de ces quelques pages un petit bijou de légèreté.
La Beauté, tôt vouée à se défaire
de Yasunari Kawabata
Traduit du japonais par Liana Rosi,
Le Livre de poche, 150 pages, 5 €
Poches Charnel Kawabata
février 2005 | Le Matricule des Anges n°60
| par
Camille Decisier
Un livre
Charnel Kawabata
Par
Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°60
, février 2005.