En se frottant au monde qui ne tourne pas rond, Antoine Volodine prône une littérature autre, violente, sincère, en lutte contre toute forme de consensus, rejetant alibis et hypocrisie culturels. Rencontre avec celui qui a donné un nom à ses univers fictionnels si singuliers : le post-exotisme. Tentatives d’orientation.
Éliminons tout de suite la dimension biographique. Pourquoi tant de réserve et de flou sur votre vie ?
Parce qu’il y a un flou réel. C’est quelque chose que je vais utiliser de façon romanesque, dans un cadre d’autobiographie publiée. Ces flous seront expliqués. C’est tout ce qui concerne l’ascendance, les lieux, la naissance, l’histoire familiale. Tout cela, je n’ai pas envie de le déflorer en le disant. Si j’ai beaucoup de réticences à répondre à des questions sur mon enfance, sur l’identité réelle, c’est que par pudeur ça me semble absolument exclu que publiquement on s’intéresse à quelque chose qui ne peut intéresser que moi. On s’égare dans un domaine privé sur lequel j’aimerais toujours avoir un contrôle et surtout qui n’a rien à voir avec ce que je fais.
Les écrivains français aiment tellement raconter leur enfance… &CCEDIL ;a n’a pas été pour vous une expérience déterminante ?
S’il y avait une lecture psychanalytique sérieuse de tout ce que j’ai fait, on trouverait beaucoup de choses, beaucoup plus que dans Un Sac de billes de Joffo. Le rapport aux rêves, la découverte des mots, ce sont des niveaux qui parlent de l’enfance. Ce qui est absent, en revanche, c’est la description de la cour d’école, de la guerre d’Algérie pendant mon enfance. La manière des écrivains français d’être très attentifs à ce sujet pour leur fiction ou leur non-fiction, c’est une manière un peu lassante de concevoir l’écriture. C’est le niveau zéro. Ce qui m’énerve un peu dans cette littérature, c’est cette complicité trop facile avec des expériences que le lecteur connaît si bien que pendant la lecture, il ne se remet pas en cause, ne réfléchit pas.
Justement, dans chacun de vos livres, la construction romanesque repose sur plusieurs niveaux narratifs où les degrés de fiction s’entremêlent. Le lecteur doit constamment décoder, déchiffrer… En avez-vous conscience ?
Ce déchiffrement est quelque chose qui devrait, à la longue, ne plus être fait. Mon idée, c’est de donner des livres dont le lecteur de librairie prenne connaissance mais en ayant le sentiment que ce sont des livres qui ne s’adressent pas à lui. Les narrateurs de mes livres s’adressent à des gens qui leur sont proches, qui leur sont égaux, qui partagent avec eux les mêmes références, la même culture. Lorsque le lecteur s’introduit dans un de mes textes, il s’introduit dans quelque chose où il est étranger. L’univers que je mets en scène, c’est une sorte de forêt vierge qu’on peut lire en laissant beaucoup de choses inexplorées. Et j’espère bien guider le lecteur de librairie. Faire fonctionner un livre comme une passerelle de...
Dossier
Antoine Volodine
L’écriture, une posture militante
juillet 1997 | Le Matricule des Anges n°20
| par
Philippe Savary