Ici, c’est le cœur de l’appartement. Tapis de sang sur le sol. Petit bureau en chêne clair. Ciré. Blotti. Face à la nuit. Au clignotement des lampes dans la ville : la fenêtre.
Deux murs sont couverts de livres. Le troisième, d’une tapisserie démodée, baroque. Sur le rocking-chair, comme posé, récemment : Fragments verticaux de Juarroz. Sur le bureau, L’Amour de Duras. En-dessous, une autre Marguerite. Marguerite Porete. Le miroir des âmes simples et anéanties. Une trace de blanc sur les veines du bois. Un encrier. Une petite poupée grise, marrante. Incongrue. Babar, avec son pantalon vert. La télé-commande de la stéréo. Un coupe-papier, dans le tiroir entrouvert, en-dessous, un peu de fouillis. Du scotch, dans un dévidoir, écossais vert. La reproduction d’une icône. Un vieux stylo, argenté, avec des traces d’usure, par endroit. La couleur jaune du dessous apparaît. Une lampe blanche, comme un oiseau posé, au-dessus de la forêt. Un yuka. Une table demi-ronde, avec des livres. Certains couverts. D’autres empilés. Bruegel. Henri Michaux, Peintures. Une ramette de papier, éventrée. La Femme de Job, d’Andrée Chédid. Dans les livres, au mur, il y a un certain ordre, un peu de sagesse, pour contenir tout cela. Un Paradis d’oiseaux de Jacques Réda. Une photo aux bords déchirés : un enfant et une petite fille sur un banc. Complices. Noir et blanc de l’enfance. Moment d’intimité. Elle croise les jambes. Déjà. Une boîte de cigares. Branif n°8, clairs et légers. Un damier au sol. Une mini-chaîne avec un laser de Bach enclenché. Haydn sur le côté. Beckett. Pierre Jean Jouve. L’Ontologie du secret. Le catalogue complet des peintures de Giorgione. Le livre est ouvert à cette peinture qui s’intitule Les Trois Philosophes. Le détail représente un personnage mystérieux qui tient une règle, un compas, et contemple un vol de feuilles vertes, des papillons étranges, alors qu’à sa droite, le paysage d’une vallée, attend un regard de lui. « Les livres que je lis souvent sont à hauteur du visage. Cest une petite poche vivante que la main peut balayer, comme ça. Le reste est fait de dépôts de lecture. En haut, ou en bas, ce sont des zones éteintes. C’est comme une forêt. Il y a des parties qui brûlent, du bois vert en quelque sorte. Et puis, j’aime voir, le dos des livres. Leur tête un peu fatiguée. J’aime bien donner les livres que j’aime. C’est pour ça que c’est une fausse indication ma bibliothèque. Les livres que j’aime sont dehors également et ont tendance à partir très vite. » Parmi les livres qu’il aime : Feu d’épines de Jean-Pierre Vidal (Le Temps qu’il fait) « C’est magnifique de voir quelqu’un tâtonner, se tromper, et ne pas gommer ses défauts, ses taches, mais continuer d’avancer. Et qui parfois est comme on est tous, chacun, c’est-à-dire misérable. J’aime voir cette misère et cette grandeur de l’humain dans un livre » ; John Berger Et nos Visages moqueurs, fugaces, comme des photos (Champ Vallon), La Clandestine de Judith Brouste, à paraître chez...
Dossier
Christian Bobin
Une boîte à livres pleine d’images
L’absence de l’écrivain offre le silence de la visite. Les livres sont les signes de ce qui s’est joué dans l’écriture, de ce qui se joue encore. La bibliothèque de Christian Bobin s’ouvre sur des poètes, bien sûr, mais sur des peintres aussi. S’ouvre sur l’intimité, la couleur des mots.