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Mon grand-père, ce héros
Lmda N°232 Derrière quel drapeau pourrions-nous marcher aujourd’hui ? Croisant le fer avec Dante et l’histoire des conflits du siècle passé, le nouveau roman d’Élie Treese interroge le déclin des grands récits et des idéologies. Il a bien compris, depuis Beckett, que les dispositifs narratifs les plus simples s’avèrent parfois les plus efficaces. Mais il a aussi retenu, de Faulkner notamment, la fureur, l’excès, l’épique. C’est donc quelque part entre ces deux balises – de chair et de néant, de feu et de glace –, quelque part entre les deux rives de l’Atlantique, que le Franco-Américain Élie Treese trace sa route...
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Domaine étranger Retour vers l'oubli Hantée par la guerre et la mort, l’œuvre de Branimir Šćepanović (1937-2020) instaure un pathétique sublime de la lutte avec l’ange. Branimir Šćepanović est surtout connu pour son roman La Bouche pleine de terre. L’édition par Noir sur blanc de la totalité d’une œuvre que L’Âge d’homme avait traduite en partie tient en trois romans, dix-neuf nouvelles dont quinze inédites, et l’on y croise souvent l’homme qui s’en va, ou qui revient. S’il s’en va, il manque à suivre une femme, le train est reparti, et la vision, dans la nouvelle éponyme, de la « Mer blanche et...
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Domaine français La ville elliptique Par un roman vibrionnant de cocasserie et de méthode, Isabelle Dangy nous convie à une tentative d’épuisement d’un lieu. Issue tout à la fois des Villes invisibles d’Italo Calvino, autant que proche d’un jeu vidéo, Harsenghem, ville tortue imaginaire se positionne quelque part dans un nord-nord-est de France. « La ville lui apparut comme une carapace luisante de pluie d’où dépassaient, telles des antennes, le beffroi, le clocher massif de Sainte-Fridegonde, les cheminées de l’usine Hermobois et les tours en quinconce du cours Saxo Grammaticus. » Qui la décrit...
Chronique
En grande surface
En grande surface
par Pierre Mondot
Le principal adjoint
Joie des réseaux sociaux : début septembre, un petit nombre de collégiens relaie sur TikTok un manifeste enjoignant à harceler les « 2010 ». Le millésime ciblé par la vindicte correspond aux enfants qui entrent au collège cette année (à l’ère de la Technique, les adolescents s’envisagent désormais comme des machines et se désignent par leur date de fabrication). Alerté, notre ministre de l’Éducation nationale endosse aussitôt son costume de super-surveillant général et réagit en postant sur le même canal un message vidéo à destination des chenapans. Un « appel à la bienveillance », appuyé...
Le Matricule des Anges n°227

un auteur
Antoine Mouton
Chronique
Traduction
Traduction
Sylvie Doizelet
Où sont-ils maintenant, de Laura Kasischke
Une poésie inspirée par David Lynch ?
C’est Laura Kasischke elle-même qui le dit. En France, ce sont ses romans, Les Revenants, En un monde parfait, Esprit d’hiver (trois parmi dix) qui souvent sont associés à l’auteur de Blue Velvet. Imagine-t-on traduire l’univers de David Lynch ?
Où sont-ils maintenant
Le point d’interrogation manquant plane au-dessus de ces pages. C’est une sorte de point d’interrogation fantôme, qui produit un effet permanent d’incertitude. Son absence dans le titre est d’autant plus troublante que les questions sont légion dans 187 poèmes. Ont-ils sursauté...
Le Matricule des Anges n°227
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Domaine étranger De béton et d'acier Derrière la description d’un gigantesque chantier au lendemain de l’indépendance du pays, l’Indienne Kamala Markandaya analyse les rapports de pouvoir et de domination. C’était une ville d’hommes. » Voici les tout premiers mots du Grand Barrage, qui enserrent à eux seuls le baraquement construit en pleine jungle dans lequel les ouvriers, britanniques et indiens, résident. La géographie des différents bungalows est soigneusement hiérarchisée. Les anciens colons à la tête des opérations en occupent la partie la plus sophistiquée. Quant au reste des troupes, il se contente des habitations moins résistantes. Et...
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Poésie Parler sans visage Un premier texte impressionnant de finesse sur les circonstances de la parole, quand elle fait faillite ou quand elle devient une fête. Certains livres marquent comme seules savent le faire certaines rencontres, on ne les referme jamais tout à fait. Ils intègrent ce que Patrick Chamoiseau avait joliment nommé notre « sentimenthèque ». On pourra les relire en y trouvant toujours des mots nouveaux. Quand je ne dis rien je pense encore se lit comme une longue adresse, infiniment tendue vers l’autre avec un petit a car toutes les majuscules ont disparu. Entre prose et vers,...
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Poches En résistance à la guerre D’un conflit oublié, Mario Rigoni Stern tire un récit bouleversant de sincérité. On peut avoir le sentiment que tout a déjà été dit sur Mario Rigoni Stern, y compris et surtout dans ces pages. Cela ne doit pas empêcher de le redire, encore et toujours, avec une urgence d’autant plus grande que les bruits de botte se font chaque jour un peu plus forts et, cette fois, jusqu’à nos portes. Car, s’il ne fut pas le seul, la guerre reste le thème central d’une œuvre dont la nécessité ne cesse de croître avec le temps. On...
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Théâtre « La connerie est partout » Réédition du théâtre complet de Louis Calaferte (1928-1994), dans lequel le dramaturge pose sur ses semblables un regard acéré. Et sans complaisance. Dans la galaxie que constitue l’œuvre de Louis Calaferte (seize volumes de journal, une cinquantaine de recueils de poèmes, une bonne vingtaine de récits, auxquels s’ajoutent quelques essais), le théâtre occupe une place non négligeable : 26 pièces, écrites entre 1950 et 1993 (et initialement publiées aux éditions Jacques Hesse). Des pièces qu’il a lui-même réparties en deux groupes (à l’exception de trois d’entre elles), un peu comme...
Intemporels
par Didier Garcia
La vie à pleines dents
Dans Le Cahier gris, l’écrivain et journaliste catalan Josep Pla (1897-1981) nous présente son quotidien d’étudiant en droit.
Existe-t-il un âge plus indiqué qu’un autre pour entreprendre de consigner sa vie dans un journal ? Celui de Josep Pla commence le jour de ses 21 ans, le 8 mars 1918 ; il se referme le 15 novembre 1919, autrement dit l’avant-veille de son départ pour la France, où la rédaction de La Publicidad l’envoie en tant que correspondant.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’objectif qu’il se fixe au départ n’a rien de très ambitieux : noter ce qui lui arrive, « au fur et à mesure, juste pour tuer le temps ». D’ailleurs, le même jour, il reconnaît que ce sera un miracle si ce journal...
Le Matricule des Anges n°221