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Traduction Barbora Faure*

avril 2024 | Le Matricule des Anges n°252

La Vie après Kafka, de Magdaléna Platzová

La Vie après Kafka

Il arrive parfois qu’un auteur en quête d’éditeur s’adresse à un traducteur pour l’aider dans ces démarches. C’est exactement ce qui s’est passé pour moi, il y a quelques années déjà, avec Magdaléna Platzová. Au moment où elle a pris contact avec moi, je ne savais rien d’elle, son nom m’était tout à fait inconnu. Nous avons échangé une correspondance, puis elle m’a envoyé plusieurs de ses livres sur la vie romancée de personnages politico-historiques du début du vingtième siècle. Un premier roman est paru chez Agullo en 2021, Le Saut d’Aaron. Un deuxième, La Vie après Kafka, est sur le point de paraître, consacré en grande partie à la vie d’une certaine Felice Bauer, de sa famille et de son entourage.
Qui était donc Felice Bauer ? Peu de gens savent qu’il s’agit de la première fiancée de Franz Kafka et encore moins de gens connaissent son histoire, quoiqu’il existe chez Gallimard deux volumes de Lettres à Felice qui retracent cet épisode de la vie du grand écrivain et de leur liaison. Magdaléna Platzová a mené une véritable enquête à la recherche de cette femme oubliée, contactant aux États-Unis les descendants de Felice pour découvrir comment a pu se nouer puis évoluer la rencontre entre l’écrivain et la jeune fille. Felice elle-même s’est ingéniée après la rupture à garder le secret de cette relation auprès de sa famille, et n’étaient les fameuses lettres de Kafka – celles de Felice ne se sont pas conservées –, cette relation serait entièrement tombée dans l’oubli.
Felice Bauer, donc. Une jeune Berlinoise, pragmatique, pleine de ressources, fascinée par un jeune homme à l’esprit torturé. C’est Kafka qui commence par écrire à Felice, après l’avoir croisée dans un dîner chez des amis. Elle l’attire, bien qu’il ne lui trouve pas de charme physique. Leur liaison, essentiellement épistolaire, durera cinq années, de septembre 1912 à octobre 1917, durant lesquelles Kafka se fera tour à tour enjôleur, séducteur, puis peu à peu distant, acrimonieux, voire carrément méchant. A priori, tout les oppose. Kafka souffre dans son travail de petit employé des assurances et aspire à se faire connaître en tant qu’écrivain. Felice s’épanouit dans son métier de secrétaire, puis de directrice des ventes dans une société d’enregistreurs musicaux, et ne s’intéresse pas vraiment aux écrits de Kafka, mais plutôt à sa personnalité de jeune homme timide et tourmenté. Ils se fianceront par deux fois. Rompront deux fois, la seconde, après un mini-scandale auquel n’est pas étrangère l’amie intime de Felice, Grete Bloch. Celle-ci tient également une place importante dans le roman de Magdaléna Platzová, personnage fantasque, qui connut une fin tragique dans les fours crématoires d’Auschwitz. Dans la partie du roman qui lui est consacrée, on voit la situation personnelle de Grete se dégrader peu à peu, à mesure que se durcissent les conditions des Juifs dans l’Italie de Mussolini. La jeune femme insouciante et aventureuse se sent de plus en plus piégée, jusqu’à son internement, sous le régime du « confino libero » à San Donato un petit village perdu de la région montagneuse de Frosinone, et enfin sa rafle par les troupes allemandes en 1944. L’auteure imagine avec force détails ce qu’a pu être, pour cette jeune femme cultivée et raffinée, la vie dans cette prison fruste à ciel ouvert. Afin de mieux la connaître, elle, et la situation des Juifs étrangers en Italie durant la Seconde Guerre mondiale, Magdaléna est entrée en contact épistolaire avec Anna Pizzuti, une historienne spécialisée dans le sort de ces Juifs internés qui a pu l’éclairer, et nous par la même occasion, sur les conditions de vie de Grete dans ces temps difficiles.
Ses fiançailles avec Kafka rompues, Felice connut une seconde vie, mariée à un financier, de quatorze ans son aîné. Un mariage de raison, stable, sans passion. Pour fuir l’Allemagne hitlérienne, le couple avec ses deux enfants émigre d’abord en Suisse, puis aux États-Unis où Felice subvient aux besoins de ses proches grâce à divers petits métiers, massages, pâtisserie, magasin de mercerie… Un beau jour, un homme qui dit s’appeler Bloch-Appelbaum et se prétend le fils de Grete et de Kafka, vient contacter sa famille. Pour prouver sa filiation, il cherche à obtenir des documents, voire à retrouver les bagages perdus de Grete en Italie et surtout la correspondance entre Kafka et Grete qui pourrait attester la véracité de ses dires. Felice a-t-elle conservé les lettres de Kafka ? Que compte-t-elle en faire ? Elles semblent soudain intéresser aussi le fils de Felice qui voit leur valeur pécuniaire, d’autant que sa mère a des frais médicaux difficiles à assumer, et surtout l’éditeur américain Schocken qui projette de les publier après la mort de Felice. Après bien des hésitations, Felice finira par vendre les lettres de Kafka à Schocken pour 5000 dollars (contrairement aux promesses de l’éditeur, elles seront plus tard revendues à un acheteur privé pour 605 000 dollars), coupant ainsi son dernier lien avec celui qui reste, secrètement, l’homme qui a marqué sa vie à jamais.
Un roman riche en personnages et en points de vue, abondamment documenté et qui mêle habilement la réalité et la fiction. Magdaléna Platzová y parle tantôt en son propre nom, tantôt en présentant les événements à travers les yeux de Felice, de son fils, de Grete ou du vieil éditeur Schocken. Son style n’est jamais ennuyeux ni didactique et comporte des moments de pure poésie, un vrai plaisir pour sa traductrice.

* A traduit du tchèque, entre autres, Jan Trefulka, Ota Pavel, Jana Černá. La Vie après Kafka paraît le 4 avril aux éditions Agullo (304 pages, 22,50 )

Barbora Faure*
Le Matricule des Anges n°252 , avril 2024.
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