Il n’est pas toujours facile d’arriver quelque part. Particulièrement à Paris lorsqu’on vient de loin, de très loin, d’Argentine par exemple. C’est en 2001 que le dessinateur Sergio Aquindo a débarqué dans la capitale française, bien décidé, d’une manière ou d’une autre, à s’y faire une petite place. Autrement dit, d’y trouver les moyens de survivre en attendant de pouvoir, qui sait, placer ces dessins quelque part (il les photocopie à tout de bras et sonne à toutes les rédactions). Ainsi, Bête à gravats, premier roman d’Aquindo, est-il une histoire de petits boulots. C’est un texte d’inspiration autobiographique qui, plutôt que nous offrir un récit édifiant de « self-made-man à la parisienne », nous raconte par le menu les pérégrinations comiques et sensibles d’un dessinateur converti par la force des choses en apprenti-maçon gaffeur.
Mais comme il faut bien commencer quelque part et gagner sa vie, il trouve ce job grâce à l’aide d’un personnage fantasque, « le Chilien », as de la débrouille qui après avoir été « poissonnier, sondeur, marchand de glace en Bavière, marionnettiste dans le métro », a su « gravir quelques échelons en devenant décorateur d’intérieur et, parfois, presque architecte ». Mais ce Chilien sait aussi qu’il « faut savoir faire ses valises en deux heures », car ce serait « le temps laissé aux clandestins par la police avant de les mettre dans un avion ». Pas de panique, cependant, le livre ayant été écrit en français, le lecteur en conclura d’avance que tout est bien qui finit bien pour Aquindo : notre héros a su faire son trou à Paris, la preuve, il en a adopté la langue. Ce happy end défini d’avance contribue certainement à la légèreté sagace du texte.
L’auteur, quoi qu’il en soit, ne se met pas au centre. N’étant que de passage dans la maçonnerie, il devient une sorte de catalyseur. C’est tout un monde de travailleurs, de types humains, pourrait-on dire, qu’il recrée avec finesse au fil des pages, faisant preuve d’un sens aigu de l’observation et du détail révélateur. Être « dans les chantiers maintenant », comme il le dit, c’est accéder à un univers d’ouvriers immigrés, avoir une vue imprenable sur une certaine réalité du travail, ses grandeurs et misères. Et puis, comme le lui fait remarquer une amie histoire de « calmer (s)es ardeurs de premier ouvrier de France », « tout le monde a fait des chantiers », on pourrait même dire que « c’est un classique », presque un rituel d’entrée.
Ainsi, il observe, noue des amitiés, essuie les critiques (« nul, nul, nul, il n’y a rien à tirer de l’Argentin »), et tente tant bien que mal d’apprendre deux ou trois ficelles du métier : « Il m’a demandé d’aller chercher je ne sais quel outil dans le camion, et je suis parti comme une fusée. Sur les chantiers, je compte toujours sur un ouvrier solidaire, ou sur l’électricien qui passe par là et qui, un peu surpris, m’indique l’outil dont je répète le nom comme un mantra ».
Il dépeint la galerie de personnages qui l’entoure en croquis aussi justes que touchants, sans jamais adopter une attitude surplombante. Au cours de sa brève épopée de Buster Keaton du chantier, de touriste égaré sur une planète étrange, il croise un contremaître portugais atrabilaire mais plus humain qu’il n’y paraît, un patron roublard, quelques Polonais aussi enthousiastes que graveleux, un maçon qui « s’est hissé au stade où le corps fait corps avec le métier, où les os ont pris la forme et la dureté nécessaires, avec les encoches qu’il faut », etc. Tout n’est pas rose dans cet univers, mais rien n’y est tragique pour autant. Aquindo sait rendre sa vitalité.
Guillaume Contré
Bête à gravats
Sergio Aquindo
Alma éditeur, 192 pages, 18 €
Domaine français Les mains dans le cambouis
avril 2023 | Le Matricule des Anges n°242
| par
Guillaume Contré
racontant avec humour les années de galère qu’il a vécues à son arrivée en France, Sergio Aquindo dresse un portrait sensible du monde des chantiers.
Un livre
Les mains dans le cambouis
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°242
, avril 2023.