La langue est poétique, invite au voyage et à la contemplation, articule le récit autour de sons, d’images, de ressentis par bribes et petites touches. Le Flou du monde est un roman impressionniste qui débute comme un conte fantastique, dans une carriole sous la neige, et où chaque mot soigneusement pesé conduit à ne rien laisser au hasard, qui pourtant affleure au coin de chaque rencontre, de chaque mésaventure. À moins qu’il ne s’agisse de magie.
Autour de Hannes, Florentine, et leur fils Samuel, trinité rieuse, il y a la maison en Transylvanie, la famille, les visiteurs de passage, les ombres d’une Europe de l’Est sous surveillance. Ici, on parle allemand, slovaque, roumain. Les portes s’ouvrent pour qui cherche accueil. La ronde des personnages se forme, les liens se tissent, les souvenirs s’égarent. L’histoire se calque sur le rythme des saisons, les moments de la vie de village. Et puis l’extérieur s’immisce dans la vie domestique. Vivre dans la Roumanie de Ceausescu, c’est aussi, surtout, apprendre à se taire, dissimuler, paraître. Un jour, Samuel, le fils longtemps muet enfin grandi, le taiseux rêveur, part. Il laisse derrière lui quelques mots à son âme sœur. Il part, billet simple pour l’ailleurs. Et puis finalement revient : les aléas de l’Histoire construisent et déconstruisent le monde.
Iris Wolff, née en 1977, questionne tout au long du texte les liens familiaux, de sang comme de cœur. Ses personnages sont empreints d’une immense délicatesse, les uns envers les autres, les autres envers le monde. Ils savent les mots en trop, les silences à garder, les souvenirs à éveiller. Et surtout, le respect de l’autre et l’extérieur. Peut-être la plus belle manière d’habiter le monde.
Julie Coutu
Le Flou du monde
Iris Wolff
Traduit de l’allemand par Claire de Oliveira
Grasset, 240 pages, 20 €
Domaine étranger Le Flou du monde
juillet 2022 | Le Matricule des Anges n°235
| par
Julie Coutu
Un livre
Par
Julie Coutu
Le Matricule des Anges n°235
, juillet 2022.