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Essais D’ondes et de paysages

juillet 2022 | Le Matricule des Anges n°235 | par Emmanuel Laugier

Consacré à la photographie, Une éclosion continue scrute les moments où surgit sur la plaque photosensible cette « déflagration silencieuse » dont temps et visibilité forment le nouage.

Une éclosion continue. Temps et photographie

Après L’Instant et son ombre (2008), qui déployait le lien quasi insécable entre la lumière et l’ombre de l’écriture photographique, L’Imagement (2020), qui analysait les multiples régimes de parution des images, Une éclosion continue observe comment, depuis ses origines, les conditions de possibilité de la photographie s’arrachent à la question de son rapport, si spécial, au temps. Le choix établi par Jean-Christophe Bailly sur presque vingt ans aborde les aspects de la photographie par des biais généraux, et par l’éclairage de la singularité de ses écritures. Celles-ci se déploient en effet au travers de prismes (le documentaire, le montage, la vitesse, l’indice, l’ombre, les lieux) et par les pratiques précises qu’elles appellent (celles de Denis Roche, de Thibaut Cuisset, d’Anne-Marie Filaire ou encore d’Éric Poitevin…). Ce que Bourdieu qualifiait d’« art moyen  », y documentant les usages sociaux de la photographie, n’est absolument pas le terme qu’emploierait Bailly, loin de là, y compris lorsqu’il éclaire ces mêmes usages, ou ce qu’ils disent des rapports effectifs que l’on peut en avoir en tant qu’amateur. C’est un point sur lequel il revient dans le texte final, « Le carnet photographique », mais où un parallèle est fait entre le recours à l’annotation sur le carnet et la venue de la pratique photographique (numérique) rendue possible par le téléphone portable.
Sans doute est-ce ici aussi la valeur low-fi (« basse fidélité ») qui requiert l’attention de Bailly, celle-ci redéfinissant peut-être, dans ses usages vernaculaires, les rapports compossibles entre écrire et photographier : « Y a-t-il concurrence avec les mots, avec la notation ? Non, je ne crois pas, précise-t-il, il y a seulement un glissé, un plaisir de l’image, la constitution d’une sorte de réserve ou de stock où, plus tard, l’écriture, peut-être, pourra puiser  ». Cependant que plus loin, partant du caractère toujours achevé d’une image (y compris la moins précise) et des approximations, des indécisions, toujours à reprendre (de l’illisibilité à la clarté) des notes de carnet, Bailly en arrive à supposer une gestuelle commune aux deux médiums : écrire (par la lumière photosensible/par le crayon) ce serait pouvoir accueillir la simultanéité de ce qui ne cesse de venir depuis le dehors ; écrire, dit Bailly, la « venance » qui caractérise l’apparition de toute chose. C’est-à-dire écrire « la rumeur de l’existence telle qu’elle se déploie dans l’espace en variations infinies, et c’est à cela qu’il faut bien sûr en venir, à la forme changeante du dictant ». Le fameux Pencil of Nature (Le Crayon de la nature) de William Henry Fox Talbot, que Bailly cite souvent, a ceci d’extraordinaire qu’il aura défini la saisie photographique comme un laps de temps où le crayon de son écriture, contrairement à toute esquisse, devenait absolument loyal envers la nature et le dehors. Ce moment, que Bailly appelle celui du « dictant », dans toutes ses variations (« c’est lui, le dehors, tel qu’il se module partout et à chaque instant différemment, qui nous fournit indices, indications et silences »), enveloppe naturellement la façon dont la photographie, plaque réceptive s’il en est, le reçoit et le réserve à sa visibilité.
Mais l’acte d’écrire, dans sa tension, et la notation par excellence, conçue comme « strictement contiguë au poème », sont hantés par un même rêve, celui « de laisser le monde intact, de ne pas l’affecter, de le garder entier, dans tout l’efficace de son immédiateté versée ». Ce mouvement de dépôt, celui de répondre en préservant, est un acte de discernement cherché, et c’est ici à fleur des écritures photographiques que Bailly en révèle le processus : l’approche de la photographie chez Baudelaire, par exemple, hors de ses portraits (au nombre de treize), ouvre une approche inédite, et grande ; « Document, indice, énigme, mémoire », ces quatre opérations, constitutives du schème même par quoi la photographie opère, permettent autant à Bailly de dire, par le cliché de « Sparte » (1905) pris par Waldemar Deonna, la survivance, dans la Grèce moderne et en apparence banale, d’une teneur antique tangible et palpable ici même. Autant que les « Hirondelles andalouses » et la vitesse de leur plongée chez Plossu saisissent comme un flash, nous sortant de nous-mêmes. Autant que l’analyse, aussi émouvante que rugueuse, des « Paysages même de l’abandon » (banlieues, zone ou zup) de Benoît Fougeirol, par quoi est restituée la rage calme d’une dignité, laquelle substitue à « la privation sensorielle » de ces espaces, « l’esquisse ou la trace improbable, hésitante, presque clandestine, d’un cheminement sensible ».

Emmanuel Laugier

Une éclosion continue.
Temps et photographie

Jean-Christophe Bailly
Seuil, « Fiction & Cie », 320 pages, 22

D’ondes et de paysages Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°235 , juillet 2022.
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