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Domaine français Good Evening, Vietnam

juin 2022 | Le Matricule des Anges n°234 | par Jérôme Delclos

Brice Matthieussent construit habilement un roman du temps, entre aventures et atmosphère. Un puissant équilibre.

Le roman ayant ses modes, certains tours deviennent des raretés. Le Couloir rouge de Brice Matthieussent en est une, et c’est tant mieux. Par son usage des temps du passé, et à reprendre ce topos qui fit florès dans la littérature du XIXe siècle de langue anglaise : trois ou quatre hommes, au club, au pub ou dans le train. Ils fument, ont un certain âge, sont amis ou d’emblée intimes même s’ils ne se connaissent pas. Le narrateur à la première personne nous raconte, en témoin, le personnage principal racontant une aventure, à lui survenue autrefois. La narration, ainsi médiatisée, nous est rendue, en même temps qu’à ses auditeurs, baignée dans une ambiance cosy favorable aux confidences, à l’aveu des secrets, et qui n’empêche pas le suspense. Forcément le conteur évoquera une femme, un amour ancien, une jeunesse disparue mais dont la remémoration, du fait même de sa perte qui la sublime, brille de cette aura ou patine très particulière du regret, sentiment léger et ambigu en ce qu’il mêle tristesse et plaisir. Ce qui n’a pas été aurait pu être.
Pour cette atmosphère, rien ne vaut l’aventure exotique. Matthieussent, qui a traduit environ deux cents titres de littérature américaine, parmi lesquels les plus grands auteurs, qui n’en est sorti romancier que tardivement avec Vengeance du traducteur (P.O.L, 2009), a en tête la guerre du Vietnam, qu’il connaît nécessairement bien par ses écrivains-vétérans. L’originalité du roman est de se situer juste après, une fois le pays débarrassé de l’Oncle Sam. Deux lieux pour deux narrateurs : le restaurant vietnamien « Dalat » à Paris où l’un des quatre amis nous relate le récit de « Marco » qui, lui, se déroule à Dalat, la ville du Vietnam où jeune il a vécu son aventure. Le restaurant, avec ses « banquettes en moleskine rouge » rafistolées à l’adhésif, ses boiseries défraîchies, son serveur sans âge, est déjà un lieu du passé : « tout dans la grande salle datait des années 1950 et 60 » soit l’Indochine des Français. La Dalat passée de Marco, elle, est la ville des années 1970. Entre les deux, la guerre du « Nam » elle-même mais absentée. Un fantôme. Encore faudrait-il préciser que Dalat, villégiature à la montagne, petite Suisse, n’a jamais été bombardée, et que les généraux des deux camps y frayaient ensemble en toute tranquillité : une achronie.
Ce subtil dispositif diapre l’aventure du conteur Marco dans une lumière tamisée comme celle du restaurant où elle se raconte, et qui double celle des endroits et des jours où elle se déroule. C’est un peu la lumière incroyable du début d’Apocalypse Now de Coppola, et Marco âgé de 23 ans rencontre lui aussi un général mais français, qui signe son départ comme coopérant pour un pays encore très dangereux. « Vous devriez emporter un gilet pare-balles, mon garçon. Ça barde, là-bas ». Et bientôt c’est Saïgon, « pluies diluviennes » sur le tarmac, « moiteur suffocante », « bières « 33 » dans les bars ». L’altérité : « Il y avait d’énormes geckos dans tous les puits de jour de l’immeuble, les cages d’escalier ou d’ascenseur, les toilettes des restaurants, jusque dans ma salle de bains  ». Trois jours plus tard, Dalat, une France de carton-pâte construite par des urbanistes dans les années 1900, avec « des rues arborées, des boulevards coquets, de larges avenues, tous bordés de villas normandes, de chalets savoyards, de maisons basques ». Marco, prof de lycée, y connaîtra cette autre guerre d’après la guerre, fumera de la « buddha grass » et surtout y aimera une jeune et belle Vietnamienne. Entre chaque péripétie, on retrouve le restaurant où « du ruban adhésif masquait les déchirures des sièges », avant que Marco reprenne le fil de son récit : il se souvient, il montait dans une « vieille camionnette Citroën (…). La banquette en cuir était usée, rafistolée avec du ruban adhésif qui se décollait  ». Tiens ?
Ne déflorons pas l’histoire, Marco la poursuivra. À la fin, « Tel un bouddha méditant, il sembla s’absorber dans le passé afin d’en arracher encore quelques éclats ». Comme quand on ôte un sparadrap.

Jérôme Delclos

Le Couloir rouge
Brice Matthieussent
Christian Bourgois, 200 pages, 18

Good Evening, Vietnam Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°234 , juin 2022.
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