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Domaine français Malgré nous

mars 2022 | Le Matricule des Anges n°231 | par Chloé Brendlé

Dans Connemara, Nicolas Mathieu saisit deux quadras à la croisée des chemins. Et ambitionne de tracer une épopée acidulée des classes dites moyennes entre deux siècles.

Connemara c’est Sardou et c’est aussi Cornécourt, une petite ville fictive des Vosges, où se sont croisés Hélène Poirot et Christophe Marchal au temps dilaté de l’adolescence. L’un est resté, l’autre est partie ; quelque vingt ans plus tard, elle revient, la réussite familiale et sociale de surface en plus – ils se revoient. À partir de ce scénario de romance et de l’image rose-bleutée de couverture, Nicolas Mathieu nous embarque.
Tour à tour dans la peau de celle à qui « la colère (…) venait dès le réveil » et aux côtés de celui qui voit dans ses années de jeune espoir local du hockey sur glace « les meilleures de sa vie » en espérant les revivre bientôt, le narrateur alterne les points de vue. Il retarde les retrouvailles, s’attarde sur les trajets du quotidien – celui d’une consultante en restructuration et celui d’un représentant en croquettes –, fait des embardées récurrentes dans le passé. C’est au présent de l’indicatif qu’il replonge dans ce dernier, alors qu’il utilise l’imparfait et le passé simple pour décrire le présent de ses personnages. Ce glissement et cette inadéquation donnent sa tonalité désenchantée au roman, permettant de saisir ainsi l’entre-deux doux-amer entre ce que l’on rêvait de faire et ce que l’on aimerait redevenir. Nicolas Mathieu excelle à rendre les sensations et les possibles des âges ingrats rétrospectivement si désirables. De l’adolescence vosgienne et engourdie des années 90, il avait déjà fait la matière de Leurs enfants après eux, qui lui avait valu le prix Goncourt en 2018. D’une certaine manière, avec Hélène et Christophe décrits à la veille de la dernière élection présidentielle française, il reprend le fil de sa chronique et ses héros qui auraient vieilli.
On retrouve la même efficacité à instaurer un paysage, existentiel, politique, géographique que dans son précédent roman, les adjectifs qui tuent (le maire « âgé, chauve, potentat mal fagoté, fortuné mais discret, acharné de prudence, de cette race des maquignons qui font les héritiers aplatis et les successions mouvementées. », bien sûr « sans étiquette »), les rythmes balancés qui capturent l’ambiance, l’ironie diffuse, la tendresse ou la familiarité pourtant : « On a si peu de raisons de se réjouir dans ces endroits qui n’ont ni la mer ni la tour Eiffel, où Dieu est mort comme partout, et où les soirées s’achèvent à vingt heures en semaine et dans les talus le week-end. » On retrouve l’acuité sociologique de l’auteur décrivant un monde de « rouspétances soumises », mais sur le point d’exploser au moment de sa recomposition en grandes régions, un monde où jusque dans les relations amoureuses s’affrontent les classes et les appartenances. C’est le versant Flaubert de Connemara, dont les scènes les plus réussies peuvent se dérouler aussi bien au supermarché, au barbecue d’un mariage que dans les toilettes d’un cabinet de consulting… Le tableau contemporain dressé par Nicolas Mathieu est très souvent saisissant de justesse, même si certaines formules ont l’air très définitives ou des métaphores un peu lourdes (« Tout au long de son audit, elle s’était étonnée de voir cette Babel tenir encore debout. Les paresses empilées, le flou des hiérarchies, les haines immémoriales entre chefferies administratives avaient accouché d’un véritable Tchernobyl digital. »)
Tout en conservant un humour parfois vachard, Connemara est aussi beaucoup plus émouvant. On sent l’auteur moins détaché et marionnettiste de ses personnages que dans Leurs enfants après eux, capable aussi bien de nous faire apprécier les copains accrocs aux loisirs du lance-patate que de comprendre Gérard, le baby-boomer gagné par Alzheimer et l’amertume revancharde tous azimuts. C’est ainsi qu’émerge de ce roman pourtant très mélancolique, au-delà de l’amour fragile et du temps qui nous défait, la possibilité d’une solidarité et d’une transmission masculines. Que ce soit à travers le trio de copains soudé par les années et le frisson collectif du sport (ce « ventre » de la patinoire « où s’ébauchaient des unanimités introuvables ailleurs ») ou à travers le trio familial composé du père, du grand-père et du petit-fils, se donne à lire le désir de durer ensemble et de former une communauté – dans le temps et malgré lui.

Chloé Brendlé

Connemara
Nicolas Mathieu
Actes Sud, 396 pages, 22

Malgré nous Par Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°231 , mars 2022.
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