C’est la voix d’un gamin solitaire qu’on entend. Adossé à un mur auquel il parle, n’ayant qu’aux pierres auxquelles pouvoir parler, il rassemble les images de sa rencontre avec Yan, arrivé dans sa vie quand son père à lui venait de la quitter. Yan, jardinier et maçon, figure des bistrots de cette campagne où l’on distingue mal ce qui différencie les hommes des bêtes, auquel l’enfant voue un amour que seuls les chiens parfois ont pour leur maître. Cet amour surprend par son intensité, mais bien vite, entrant dans la langue du narrateur, on saisit combien celui qui parle est aux prises avec une sensibilité que seuls les mots parviennent à contenir en lui donnant une forme. Attaché à la terre, matière organique qu’il pétrit comme pour en extraire un golem, traversé par de fulgurantes couleurs dont le rouge du sang des bêtes et des blessures des hommes, le narrateur tire du néant les ombres de pauvres hères qui n’eurent pas même un nom à porter tel Prépuce, « sans langage autre que cette sorte de prurit là où la viande travaille à l’échauffement du muscle, sans qu’on n’en sache rien ni n’en recueille davantage, hormis rognons de voix, grognements, tandis que son ombre bouge. » Mise à nu, l’humanité pauvre n’est pas tant misérable que vivante dans l’organique matière du présent. Et ce qui emporte le lecteur, c’est la manière avec laquelle l’écriture de Commère s’accorde à cette matière épaisse et grasse comme la terre des pâturages. L’écrivain use des mots comme le peintre Ronan Barrot le fait de la peinture : la phrase macule le récit de visions fortes d’où émerge, plus qu’une histoire, une présence. La présence même du monde.
Pascal Commère, en exergue à Ainsi parle le mur, vous expliquez que ce roman a été écrit dans la deuxième moitié des années 80. Un texte auquel longtemps, dites-vous, vous n’avez pas « eu la force de vous confronter à nouveau ». Qu’est-ce qui dans ce roman impliquait que le texte reste caché et que vous n’ayez pas eu la force de le relire ? Est-ce qu’il touche à trop d’intime, par exemple ?
Si tant est que je ne sois pas moi-même face à un faisceau de questionnements auxquels il ne m’est pas aisé de répondre, je vais tenter d’apporter quelques lumières. Deux mots au sujet de son histoire, d’abord. En fait, je ne suis même pas sûr de la datation que j’avance. Curieusement, je ne parviens pas à remettre la main sur quoi que ce soit qui puisse éclairer sa genèse, hormis toutefois un premier tapuscrit. Mais de brouillons, nulle trace. Les aurais-je détruits ? J’ai pourtant souvenir de l’avoir écrit à la main, une collègue de bureau l’avait tapé à la machine. Après quoi le tapuscrit avait pris son envol postal vers quelques officines, à commencer par Denoël qui avait publié Chevaux, mon précédent roman et qui ne tarda pas à me faire savoir qu’ils ne pourraient pas défendre celui-ci. Expédié ensuite à quelques autres, il connut la même mésaventure. L’une de ces maisons allant jusqu’à l’accepter, avant de...
Entretiens Entrer dans la matière
mars 2022 | Le Matricule des Anges n°231
| par
Thierry Guichard
Sorti de l’oubli des tiroirs, le roman de Pascal Commère ressuscite dans un chant coloré et liturgique les ombres d’une enfance.
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