Il s’appelle Pierre, à l’usine on l’appelle le gamin. Il faut dire qu’il n’a que 16 ans et qu’il devrait être à l’école. Mais trop d’humiliations et de revers ne lui ont donné d’autre issue, l’école ne voulait pas de Pierre, « dans le fond, changer de vie c’est pas très compliqué quand on n’a pas le choix ». Alors le voilà, suspendu à 8 mètres de haut, en équilibre sur une poutre au-dessus des cuves bouillonnantes de fruits, à racler le plafond pour en faire tomber le sucre qui s’agglutine. « Mon père m’avait dit “tu t’habitueras”. J’avais entendu : tu te tueras. » Il n’aime pas son prénom mais il apprendra que Pierre, c’est pas si banal, si l’on pense à Louÿs, Radiguet, Daninos, Autin-Grenier… mais il a arrêté l’école trop tôt pour que ces noms lui soient familiers. Il s’insurge contre les esprits nantis et leur « incroyable cruauté tranquille (…) pour qui toute porte est ouverte ». De son échafaudage, Pierre voit Josette se faire virer parce qu’un transpalette est renversé, que les pots de confiture ont explosé, Josette s’en va, en boitant. Pierre rencontrera Jean, l’ami, Jean qui lui dit de partir, de quitter ce travail d’esclave, de rejoindre la lutte pour les droits des salariés. Pierre essaye de ramasser les bouts épars de son existence, et croise ses fantômes qui lui font signe, « mais traverser les rêves éveillés est dangereux ».
On retrouve ici les lignes de force que Daniel Adam, fondateur de la compagnie de théâtre belge La Compagnie maritime, met en scène dans ses pièces – Et voilà le travail !, ou Royal Boch, la dernière défaïence, le récit de la lutte des ouvrières pour la survie de leur entreprise. C’est bien cette tension que raconte Adam, et c’est dans l’action de ce personnage perché comme le funambule de Nietzsche sur sa corde, qu’il nous attrape, à observer d’en haut une vie « comme un lundi d’automne sous le brouillard (…), une vie foutraque bourrée de vexations, d’emmerdes (…), une vie passée à rembourser ce qu’on n’a jamais emprunté ».
Virginie Mailles Viard
Où dans le ciel ?
Daniel Adam
Éditions du Cerisier, 130 pages, 12,50 €
Domaine français Où dans le ciel ?
mars 2022 | Le Matricule des Anges n°231
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
Le Matricule des Anges n°231
, mars 2022.