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Égarés, oubliés Bien d’avoir tourné mal

janvier 2022 | Le Matricule des Anges n°229 | par Éric Dussert

Poète et chansonnier anarchiste, Eugène Bizeau le pacifiste militait pour la justice sociale sans se départir de sa bonhomie.

En 1983, Eugène Bizeau recevait la palme de « plus vieux lecteur du Canard enchaîné ». Avec sa bonne tête de vieux un peu rigolard, chenu et barbu à long poil, il était né depuis un siècle tout juste – épisode qui datait du 29 mai 1883 (Véretz, Indre-et-Loire). Les centenaires ne couraient pas encore les rues et celui-ci avait assez tournicoté pour que l’on puisse s’étonner de sa longévité. En 1914, à l’âge de 31 ans, il avait pourtant été réformé à cause de sa constitution qui paraissait bien bénigne. Mais s’il était freluquet, lorsqu’il prenait la plume, dame, il paraissait nettement plus costaud. Il était né, ça aussi il faut le dire, au sein d’une famille de républicains purs et durs, des vignerons ; son père étant un lecteur assidu de Proudhon et un libre-penseur. Il poursuivra un jour le métier, y ajoutera celui d’apiculteur et fut toujours, c’était ancré chez lui, faiseur de chansons.
Équipé du certificat d’études primaires qu’il obtient à l’âge de 13 ans, Bizeau ne tarde pas à se politiser et s’abonne dès l’adolescence aux journaux anarchistes Le Libertaire et Le Père Peinard. Il pratique successivement plusieurs métiers avant de retourner à celui de ses pères, mais c’est le poème et le militantisme qui ont envahi son âme. On retrouve très tôt ses vers dans L’Idée libre, Le Réfractaire, L’Anarchie, Hors du troupeau, ou, c’est son côté versificateur, dans Le Luth français. Dès 1910, il publie son premier recueil, Balbutiements (Villeneuve-la-Garenne, éditions du Luth français) qu’il redouble quatre ans plus tard des Verrues sociales dont le titre indique assez la tendance. Il fait partie du groupement La Muse rouge aux côtés de Gaston Couté et d’Aristide Bruant. Il donne alors de lui ce portrait : « Tourangeau frisé, frisant la trentaine,/ Vit par ses efforts sur le sol natal,/ Pétrit ses chansons d’amour et de haine/ Et se trouve bien d’avoir tourné mal. »
Mal ? Parce qu’il enchaîne les affronts au pouvoir : poèmes anticléricaux, pacifistes, anticolonialistes, c’est un indécrottable anarchiste qui écrit. Il mène aussi après la guerre des actions pour la réhabilitation des fusillés pour l’exemple et pour l’amnistie des réfractaires avec sa femme Anne (née en 1882) rencontrée en 1916 lorsque, institutrice et syndicaliste, elle milite comme Hélène Brion pour la paix. Elle est aussi poète et va faire paraître Les Ailes de soie et Souvenance (1970), tandis que leurs signatures à l’un, à l’autre ou au deux paraissent dans le CQFD de Sébastien Faure, Pendant la Mêlée et Par-delà la Mêlée, les journaux d’Armand.
En 1936, ils vivent à Massiac (Cantal) avec leurs deux enfants et travaillent comme jardinier et agriculteur tout en poursuivant leurs collaborations à la presse anarchiste : La Revue anarchiste, Le Semeur, La Voix libertaire, Contre-courant, L’Unique… Rendue à la vigne, la famille retourne à Véretz qu’Eugène ne quittera plus. Anne meurt en 1970, lui disparaîtra le 17 avril 1989 à l’hôpital de Tours, toujours aussi anarchiste et toujours aussi souriant malgré ses vers vengeurs, âgé de 106 ans, après avoir laissé quelques textes qui n’ont pas perdu toute intensité : « Debout ! ceux dont l’âpre détresse/ Gémit sans espoir et sans pain./ Ce n’est pas quand l’oisif s’engraisse/ Que nous devons mourir de faim ;/ Jaillissant du cœur populaire/ Voici de farouches clameurs : On ne supprime la misère qu’en supprimant les affameurs ! » (« Soleil levant »).
Au tout début de cet hiver 2021, un catalogue de livres anciens à prix marqués d’un libraire réputé de la place de l’Odéon, à Paris, notait que Bizeau pourrait décemment être un peu mieux connu, que ses vers valaient bien ceux d’un Couté ou d’un Jehan-Rictus. C’est vrai et vient prouver l’assertion son livre le plus épais, le magistral Croquis de la rue publié par La Fenêtre ouverte de Roger Denux en 1933 avec des bois du très talentueux Germain Delatousche. On y lit de très belles pièces de cette époque dont certaine tombe à pic avant une élection présidentielle, comme ce « Peuple souverain » qui dit : « Traits fatigués,/ démarche lasse,/ Habits rapiécés, gestes lourds…/ Le peuple est incarné dans le vieillard qui passe/ et, fauve apprivoisé, fait patte de velours.// Un jour, tous les quatre ans, de sa lépreuse turne/ Il s’échappe ainsi, triomphant ;/ Et d’aller déposer son bulletin dans l’urne/ Lui donne un tel plaisir qu’il redevient enfant. » Suivent « L’Usine », « Le Mastroquet » (qui « a, comme attribut, sphérique et rouge trogne,/ finesse de renard, jovialité d’ivrogne,/ Main de laine et de fer, sachant s’ouvrir à point/ Et, le cas échéant, donne le coup de poing »), « Le Mouchard » (ce « prince des crapules »), tout un peuple qui n’attend plus en ces pages qu’un retour d’intérêt, afin que n’échappe plus l’intérêt, pour les plus anarchistes de supprimer les affameurs. Au boulot.

Éric Dussert

Bien d’avoir tourné mal Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°229 , janvier 2022.
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