Une atmosphère étouffante empreint ce roman venu du sud des États-Unis. Celle des bayous du Mississippi, dont la chaude humidité obsède les corps, celle des esprits surchauffés par le « whisky de patates », celle de la violence à fleur de peau. Les habitants d’Attrape-Flèche ont la gâchette facile, à l’instar du jeune Hydro, ainsi surnommé parce qu’en une métaphore du milieu liquide environnant il s’agit d’un hydrocéphale, néanmoins capable de tenir la caisse d’une station-service. C’est là qu’il pense avoir tué deux « gentils bébés », alors que l’on apprend que ce sont deux braqueurs sans foi ni loi. Lui aussi, à la suite d’un affreux concours de cauchemars mêlant Éros et Thanatos, finira dans « un récipient de plastique », du moins ses cendres et autres « fragments d’os ». Saisis par un réalisme sans indulgence, les personnages tentent de vivre avec dignité, sinon avec leurs tourments sexuels, tandis que d’autres sont des assassins, des violeurs ; ou des loufoques, comme « Monsieur William Tell », théâtral avec « ses talons aiguilles et son bâton de rouge ». Ils frôlent parfois le fantastique, tel ce croque-mort surnommé « Le Prince des Ténèbres ». Quant à Monsieur Raney, père d’Hydro, il est évidemment l’incarnation de la mélancolie du titre.
Étroitement locale, cette tragédie à la prose entraînante et touffue, dans la tradition de Faulkner, n’en a pas moins une portée universelle. Une fatalité sans pitié rôde parmi les individus prisonniers de leur paysage, de leur déterminisme, de leur psyché. Initialement publié en 1995 par un Lewis Nordan né en 1939, ce roman âpre et polyphonique devient un beau livre toilé publié avec un soin rare.
Thierry Guinhut
La Mélancolie de celui qui vise juste
Lewis Nordan
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie-Odile Fortier-Masek
Monsieur Toussaint Louverture, 288 pages, 19 €
Domaine étranger La Mélancolie de celui qui vise juste
septembre 2021 | Le Matricule des Anges n°226
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°226
, septembre 2021.