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Domaine étranger Si loin, si proche

novembre 2019 | Le Matricule des Anges n°208 | par Camille Cloarec

Alice Munro dissèque des couples à la banalité étrange, illuminés par la complexité de leurs personnages féminins. Un recueil à (re)découvrir dans une nouvelle traduction.

Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout

Que des couples, et chacun d’eux, même le plus incertain, était équipé, soit dans le présent, soit dans le souvenir, d’un terrier personnel, un lieu intime et chaleureux, agité de ses propres turbulences. » Cette remarque, formulée par la narratrice de « Queenie », une jeune femme abandonnée à sa propre solitude après le mariage désastreux de sa demi-sœur avec un professeur de musique tyrannique chez qui elle faisait le ménage, dresse un panorama précis du dixième recueil de nouvelles publié par Alice Munro. L’auteure y dessine des relations maritales teintées de non-dits, de compromis et de renoncements, rapportées avec force par des femmes en apparence effacées, qui renferment en réalité une colossale volonté. Ainsi en est-il de cette mère de famille respectable qui, à l’occasion de l’enterrement du meilleur ami de son mari, tombe dans les bras du docteur (« Ce qui reste »). De même, dans « Ossature bois », Lorna oscille entre son ami Lionel et son époux Brendan, qui ne la comble pas – « parfois elle lui disait qu’elle l’aimait et elle le pensait, jusqu’à un certain point, et elle désirait être aimée de lui, mais il y avait un petit courant de haine qui circulait le long de leur amour presque tout le temps ».
Insatisfaites, infidèles, courageuses, les héroïnes d’Alice Munro sont de fines analystes de leur intériorité. Frustration, attraction, lassitude sont autant de sentiments qui, face aux hommes qui ignorent tout d’elles, se muent en silences étouffants. Tandis que ces derniers continuent d’avancer sans y prêter attention, englués dans une méconnaissance incurable (« Marcelle s’en alla un jour à Londres se faire opérer d’un machin de femme et elle mourut sur le billard »), elles s’arrêtent sur le bas-côté et n’en font qu’à leur tête. Comme Jinny, quadragénaire dotée d’une grave maladie et d’un compagnon hippie à l’égoïsme massif, qui soudain choisit de se perdre au loin dans un champ de maïs plutôt que d’attendre indéfiniment son retour, les personnages féminins font preuve d’une obstination vorace que rien n’atténue. « Le risque pris, la passation de pouvoir. Risque total, passation totale. » Telle est la voie qu’elles choisissent d’emprunter.
L’originalité de l’écriture d’Alice Munro se condense autour de petits détails descriptifs, faussement anecdotiques, qui donnent leurs titres aux nouvelles. Dans « Le mobilier familial », la nièce d’une femme ayant tourné le dos aux conventions sociales se déçoit d’apercevoir chez elle le même intérieur qui l’a vue grandir. Peut-être, au fond, malgré les apparences, ne s’est-elle jamais véritablement émancipée. Lorsque la narratrice des « Orties » retrouve son amour de jeunesse dans un champ en proie à la tempête, les années passées ponctuées de tragédies et de désillusions les séparent irrémédiablement, tout autant que les fleurs urticantes qui les piquent. Enfin, dans « Ossature bois », la charpente particulière qui caractérise la maison moderne de Lorna et de Brendan, à North Vancouver, symbolise également un foyer qui sonne creux, où l’affirmation de réussite cache une déception sans fond. Autant d’évocations banales qui servent de point de départ à l’introspection, à partir de laquelle se dévide la vie des héroïnes – leurs imperfections, leurs fantasmes, leurs souvenirs. La mémoire joue d’ailleurs un rôle prédominant : les récits s’effectuent au passé, perdus au cœur d’une jeunesse lointaine, alors que ces femmes désormais âgées étaient encore naïves. Le plus souvent, une histoire fugitive cristallise leurs parcours (un baiser furtif, une brève passade amoureuse, un éternel quiproquo) ; secret qu’elles convoquent encore et encore. « La tâche qui lui incombait, telle qu’elle l’envisageait, consistait à tout se rappeler (…) puis à le reléguer pour toujours. L’expérience qu’elle venait de vivre, parfaitement en ordre, sans rien laisser traîner ici ou là, l’ensemble bien rassemblé, comme un trésor dont on ne s’occupe plus, que l’on peut remiser. »
Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout (titré Un peu, beaucoup… pas du tout, Rivages, 2004) confirme l’extraordinaire talent de nouvelliste d’Alice Munro, qui lui a valu le prix Nobel en 2013. Délicate observatrice des relations amoureuses, lucide défenseuse des femmes, fidèle narratrice des campagnes d’Ontario et de Colombie-Britannique, elle demeure une figure phare de la littérature nord-américaine. Comme le signale l’une de ses protagonistes, son œuvre a ceci de spécial qu’elle « consist(e) davantage à saisir les choses flottant dans l’air qu’à construire des histoires  ». Cela en fait toute sa force.

Camille Cloarec

Un peu, beaucoup, passionnément,
à la folie, pas du tout,
d’Alice Munro
Traduit de l’anglais (Canada) par Agnès Desarthe,
L’Olivier, 384 pages, 23

Si loin, si proche Par Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°208 , novembre 2019.
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