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Domaine français L’atelier du roman

septembre 2019 | Le Matricule des Anges n°206 | par Nicolas Mouton

Dans un roman en forme de représentation théâtrale, Philippe Forest convoque la peinture, Richard II, Churchill et son double, pour sonder la création littéraire et son inguérissable blessure.

Je reste roi de mes chagrins

L’œuvre romanesque de Philippe Forest, au-delà de ses fidélités et de sa nuit fondatrice, demeure jubilatoire et aventureuse. Aucun de ses romans ne ressemble au précédent, tant dans la forme que dans ses interrogations. Seule une langue savante et souple, musicale, mais sotto voce, tisse un lien sonore de livre en livre. Dans Je reste roi de mes chagrins, dont le titre est une allusion au Richard II de Shakespeare – mais ayant pris l’aspect d’un vers d’Aragon dans Le Crève-cœur – le récit prend l’aspect d’une représentation théâtrale (avec actes, scènes, intermèdes, prologue) où il est question de peinture. Mais peut-être est-ce moins un sujet qu’un argument ? Une parabole biblique et un Prologue qui tient du chœur antique et du commentaire de l’auteur sur son propre livre nous ont prévenus : il n’y a au fond depuis toujours qu’une seule histoire originelle qui ne fait que se répéter, se reprendre. Les histoires précèdent les hommes ; ce sont elles qui nous racontent. Le passé est l’horizon du présent. Et l’histoire ne signifie rien.
Nous sommes en 1954, dans la résidence de Churchill qui prend la pose, renfrogné. Pour ses 80 ans la Chambre a décidé de l’honorer, et c’est un cadet, le peintre Graham Sutherland qui est chargé de réaliser le grand portrait qui lui sera offert. Entre les deux hommes que tout sépare, l’âge, la gloire, la politique, l’esthétique, le caractère, un dialogue par petites touches s’ébauche. Le peintre songe à sa guerre, en spectateur, où il ne faisait que croquer les scènes qui s’offraient à lui ; l’homme de pouvoir, qui a conduit son pays à la victoire, feint de l’envier. Car lui aussi, on le sait est peintre à ses heures. Il aime à s’installer près d’un bassin où il peint de petits poissons… Le modèle devient le peintre ; le peintre l’objet du modèle. Thème aux infinies variations et dont la représentation a peut-être valeur de reprise musicale. Le bassin n’est-il pas plutôt un miroir reflétant un monde dans lequel Churchill ne se reconnaît plus ? Ou bien est-il le mouroir d’un songe secret, une perte insondable ? Et le tableau, que le peintre refuse jusqu’au bout de montrer au modèle, n’est-il pas une manière dérobée d’autoportrait (comme semble le suggérer le Rubens – sur lequel Philippe Forest a écrit un essai – accroché au mur de la résidence d’été des premiers ministres ?)
Le thème du miroir, cher à Stendhal, est le signe d’une méditation sur le roman. Et sur son personnage principal, le temps. « Le passé et le futur forment deux miroirs placés face à face, légèrement de biais, dont chacun réfléchit l’autre et entre lesquels le présent qui se tient voit son image démultipliée à l’infini. » Sans cesse commenté, voir ironiquement dénigré, ce roman à la panoplie de théâtre est avant tout un théâtre du roman. Et il nous paraît évident que Philippe Forest dialogue ici avec une œuvre qu’il connaît mieux que personne (il en a établi l’édition pour la Pléiade) : Théâtre/Roman, l’ultime chef-d’œuvre d’Aragon, paru en 1974. L’histoire d’un face à face aveugle entre un vieil écrivain et un homme de théâtre plus jeune. On trouve des allusions très directes à ce texte (des titres de chapitre, des expressions), comme on peut songer, pour le personnage du Prologue, au recueil Les Poètes (1960). Un écrivain dialogue toujours avec sa bibliothèque.
C’est en drame shakespearien que se finira l’histoire du portrait. Mais la véritable tragédie, qui réunit dans un silence pétrifié Churchill et Sutherland, est inexprimable. « Le mot manque dont l’absence, dans toute phrase, fait un trou où rien ne se dit, mais dans le vide duquel, en vérité, tout s’en vient résonner. » C’est aussi la perte sans consolation dont tous les livres de Philippe Forest portent la plainte. Il se questionne, en quelques lignes poignantes : « Il s’agit d’un secret. Mais, selon un autre paradoxe qui n’est pas moins mystérieux que le précédent, on ne parvient à le conserver qu’à la condition de le trahir aussi. Ce sont des choses dont on ne parle pas. Sauf parfois. Au théâtre ou bien dans un roman. Où d’autres règles valent que celles qui ont cours dans la vie, là où la bienséance trace une frontière qui ne se franchit pas entre ce qui se dit et ce qui ne se dit pas. »
Pour finir, ultime privilège, Philippe Forest nous fait entrer dans l’atelier du roman pour expliquer les circonstances et l’artisanat de son livre. Cette échappée vers la réalité relève aussi de la création romanesque et transmet au lecteur de reprendre du début sa lecture : d’être lui-même la reprise.
Nicolas Mouton

Je reste roi de mes chagrins,
de Philippe Forest
Gallimard, 288 pages, 19,50

L’atelier du roman Par Nicolas Mouton
Le Matricule des Anges n°206 , septembre 2019.
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